Analyses
BNP Paribas donne 5 ans de sursis à la déforestation liée au soja
- La politique est la bienvenue vu l’importance des enjeux, mais l’objectif est bien trop tardif et BNP Paribas n’explique pas comment elle entend garantir son atteinte.
- Canopée Forêts Vivantes, Reclaim Finance, SumOfUs et Mighty Earth appellent BNP Paribas à ne plus ménager des acteurs comme Cargill – un des négociants de soja les plus exposés au risque de déforestation – quitte à prendre le risque de devoir les exclure de ses soutiens.
- BNP Paribas est le premier financeur au monde de Cargill avec 4 milliards de dollars de financements alloués entre 2016 et 2019.
Le soja et le bœuf sont deux des causes majeures de la déforestation dans le monde, avec des risques concentrés aujourd’hui dans les régions du Cerrado et de l’Amazonie au Brésil. Or, au-delà du boeuf, les seules mesures immédiates d’exclusion concernant la production de soja s’appliquent aux entreprises qui continuent de défricher ou convertir des terres en Amazonie. Très peu d’entreprises sont donc concernées étant donné qu’un moratoire stipulant l’arrêt de la déforestation liée au soja après 2008 existe déjà et est en majorité respecté. C’est donc sur les mesures adoptées sur le Cerrado qu’il faut juger l’ambition et les engagements de BNP Paribas liés à la production de soja.
BNP Paribas s’engage à ne fournir “des produits ou services financiers qu’aux entreprises ayant une stratégie visant à atteindre zéro déforestation dans leurs chaînes de production et d’approvisionnement d’ici 2025 au plus tard”. Mais la banque ne se dit prête qu’à inciter et non contraindre les entreprises actives dans le Cerrado à ne pas produire ni acheter de bœuf ou de soja issus de terres défrichées ou converties après la cut-off date fixée au 1er janvier 2020, date fixée par l’Accountability Framework Initiative.
“Certains diront que c’est 5 ans de gagnés quand de nombreux traders comme Cargill ont des politiques qui visent la zéro déforestation en 2030. Mais après des années d’inaction, il est urgent d’exiger des engagements fermes et immédiats à appliquer la cut-off date de 2020. Si BNP Paribas veut donner des réels gages de son engagement à agir face à l’urgence climatique et la disparition de la biodiversité, elle doit sécuriser cet engagement de la part des négociants puis les accompagner pour son respect sur une échéance de deux ans, pas cinq”, commente Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance.
Face à l’explosion de la demande en soja, générée par la croissance de la population et des classes moyennes, ainsi que par l’augmentation continue de la consommation de viande et de produits laitiers, le Cerrado est aujourd’hui l’un des écosystèmes les plus menacés de la planète. 50 % de sa superficie initiale a déjà été détruite. Sa disparition serait un désastre pour le climat et la biodiversité alors qu’il stocke l’équivalent de 13,7 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) et abrite 5% de la biodiversité mondiale.
“BNP Paribas a bien compris l’importance d’imposer une cut-off date aux négociants de soja mais aucune demande immédiate ne leur est faite pour garantir une évolution de leurs pratiques sur les prochaines années. En l’état, BNP Paribas leur donne 5 ans supplémentaires pour déforester impunément” déclare Klervi Le Guenic, chargée de campagne à Canopée Forêts Vivantes.
Cargill, le deuxième exportateur de soja du Brésil, est associé aux grandes exploitations qui ont défriché plus de 61 000 hectares de forêts au Brésil depuis mars 2019, six fois la superficie de la ville de Paris.
“L’annonce de BNP Paribas est un signal fort envoyé aux négociants en soja: les grandes banques mondiales commencent à prendre conscience des risques liées à la déforestation et ne feront que renforcer leurs attentes en direction des coupables. Nous avons besoin que le grand destructeur de forêts Cargill arrête la déforestation maintenant; pour cela, fermer le robinet d’argent est indispensable” ajoute Nico Muzi, directeur européen à Mighty Earth.
“Déjà plus de 125 000 personnes ont signé une pétition demandant à BNP Paribas d’arrêter de financer la déforestation. Nous maintiendrons la pression sur BNP Paribas, premier financeur de Cargill et un des plus gros banquiers de la destruction du vivant, tant que la banque ne reverra pas sa copie à la hausse” conclut Leyla Larbi, chargée de campagnes à SumOfUs.