Analyses

Encadrement des coupes rases : une avancée considérable grâce au Code de l’urbanisme 

Le point sur les outils juridiques (encore méconnus) dont disposent les élus locaux pour mieux protéger certaines forêts privées
Publié le Rédigé par Canopée

Quatre articles du code de l’urbanisme permettent aux élus locaux de restreindre les coupes rases de forêts sur leurs communes, même en forêt privée. Notre analyse, qui s’appuie sur un article paru dans la revue Droit & Ville liste les étapes à suivre pour utiliser ces leviers et présente leurs avantages. 

400 hectares de vieux chênes protégés dans le plan local d’urbanisme de Cluny  

Lors de la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Cluny en 2022, plus de 400 hectares de chênaie ont été réglementairement protégés.  

Conseillée par le cabinet d’urbanisme Bioinsight, la commune de Cluny a eu recours aux articles L.113-30, L.151-8 et R. 151-43 4° du Code de l’urbanisme pour interdire, avec des exceptions, les coupes rases dans ces chênaies abritant une riche biodiversité.  

Les coupes rases ont un effet négatif sur la biodiversité, surtout si elles sont réalisées à l’aide d’une exploitation mécanisée. C’est ce que rappelle l’expertise CRREF, menée par le GIP Ecofor et AFORCE pour le compte du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et du Ministère de la Transition Ecologique.

Le bois de la Garde, à Cluny, est désormais réglementairement protégé. Photo issue du PLU de Cluny.

Restreindre les coupes rases en forêt privée au titre des continuités écologiques 

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, votée en 2016, permet aux élus locaux de protéger des zones à forte biodiversité. Cela se traduit par la définition de continuités écologiques dans les documents d’urbanisme tels que les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Plans Locaux d’Urbanisme intercommunaux (PLUi). Ces zones de continuités écologiques s’appellent les Trames Vertes et Bleues (TVB). 

L’alinéa 4 de l’article R.151-43 indique que le règlement d’un PLU peut « délimiter les espaces et secteurs contribuant aux continuités écologiques et définir des règles nécessaires à leur maintien ou à leur remise en état ».  

Les secteurs réglementés sur le fondement de cet article sont dès lors régis par le Code de l’urbanisme et peuvent en partie s’affranchir de l’application du Code forestier. 

Il devient possible pour les rédacteurs de PLU(i) d’assigner à ces secteurs à la fois un nom (par exemple : chênaie ancienne) et de nouvelles règles, comme l’interdiction des coupes rases.  

En revanche, cette interdiction ne peut être rétroactive. C’est à dire qu’elle ne permet pas d’interdire les coupes rases préalablement prévues dans un document de gestion, que ce soit un document de gestion de forêt privée (Plan Simple de Gestion par exemple) ou un document d’aménagement en forêt publique. Mais l’interdiction est bien valable pour les forêts pour lesquelles aucun plan de gestion n’a été déposé avant l’approbation du PLI(i) ainsi que pour l’inscription d’une coupe rase dans les documents de gestion ou documents d’aménagement qui seront rédigés après l’approbation du PLU.  

L’utilisation du Code de l’urbanisme pour encadrer les coupes rases présente l’avantage de s’inscrire dans une logique d’aménagement du territoire, au-delà des limites des parcelles de forêt privée et sur un long pas de temps. En effet, si certains Schémas Régionaux de Gestion Sylvicole (SRGS) encadrent les coupes rases au-delà d’un certain seuil, les coupes rases inférieures à ce seuil peuvent se cumuler dans le temps ou l’espace. Il est par exemple possible de réaliser plusieurs petites coupes rases sur des parcelles contigües ou de condenser sur une même année les coupes rases prévues pour plusieurs années. L’utilisation des articles L.113-30, L.151-8 et R. 151-43 4° du Code de l’urbanisme permet d’empêcher les coupes rases sur le secteur choisi, même si ce secteur comporte plusieurs parcelles, et ce pour la durée du PLU(i).  

Un second outil issu du Code de l’urbanisme permet d’encadrer les coupes rases dans les PLU(i). Il s’agit de la combinaison des articles L.151-23 et R.151-43 5° du Code de l’urbanisme. Ces articles permettent de définir des secteurs pour lesquels les travaux forestiers comme les coupes rases seront soumis à déclaration préalable. Mais cet article est en attente de la publication d’un décret (comme le dispose l’article L.412-4 du Code de l’urbanisme), qui arrêtera la liste des travaux pour lesquels il sera fait exception à cette obligation de déclaration préalable. Dans l’attente de ce décret, il semble préférable de s’appuyer sur l’utilisation des articles L.113-30, L.151-8 et R. 151-43 4° du Code de l’urbanisme.  

Concrètement, quelles étapes suivre ? 

La première étape consiste à définir les forêts pour lesquelles la commune ou l’intercommunalité souhaite édicter de nouvelles règles, comme l’interdiction de la coupe rase, lors de la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou du Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi).  

Ces forêts peuvent ensuite être inscrites, sur le fondement des articles L.113-30, L.151-8 et R.151-43 4° du Code de l’urbanisme, dans le règlement graphique d’un PLU (plan de zonage) au titre d’une prescription surfacique (techniquement, il s’agit d’une trame graphique se superposant aux zones A, N, U ou AU).  

Les forêts choisies sont ainsi assignées à une continuité écologique, ce qui permet de leur attribuer un nom et d’établir de nouvelles prescriptions pour ces surfaces, comme l’interdiction des coupes rases.  

Cette interdiction peut être assortie d’exceptions, par exemple pour permettre les travaux nécessaires aux réseaux publics d’eau, d’assainissement, d’air, de gaz, d’électricité ou de télécommunication.  

Dans les Landes, 58 maires s’engagent contre les coupes rases de feuillus

Les articles L.113-30, L.151-8 et R.151-43 4° du Code de l’urbanisme sont un outil juridiquement contraignant au service des élus locaux qui souhaitent empêcher les coupes rases sur leurs communes.  

Le 23 septembre 2022, la communauté de communes Cœur Haute Lande a adopté à l’unanimité une motion indiquant que les 26 communes représentées « s’opposent aux coupes rases de chênes sur son territoire ».  

Chênes coupés par la société DP Bois sur la commune de Noaillan (Massif des Landes de Gascogne) 

Quelques mois plus tard, c’est au tour de la communauté de communes du Bazadais de « s’opposer aux coupes rases de feuillus sur son territoire, et à la transformation de forêts naturelles en plantations résineuses », dans une motion votée une fois encore à l’unanimité des 32 communes.  

Ces 58 communes demandent ainsi d’arrêter de transformer les dernières rares forêts de feuillus des Landes de Gascogne en monocultures de pins maritimes. Canopée s’engage en ce sens depuis plusieurs mois : notre association a publié une enquête sur ces pratiques. L’ampleur de ces coupes rases est telle que le syndicat des propriétaires forestiers privés des Landes de Gascogne (le Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest) demande lui aussi la fin de ces coupes rases de transformation.   

Pourtant, les motions votées par ces communes n’ont pas réellement le pouvoir d’empêcher les coupes rases sur ces communes. En effet, la majorité des forêts de ces communes n’appartiennent pas aux communes mais à des propriétaires forestiers privés. La motion permet donc d’envoyer un signal politique, mais elle n’a pas de pouvoir juridique, contrairement aux articles L.113-30, L.151-8 et R. 151-43 du code de l’urbanisme. 

Les Espaces Boisés Classés (EBC) : une protection insuffisante pour éviter la coupe rase

L’instauration d’Espaces Boisés Classés est plus répandue que l’utilisation des articles L.113-30, L.151-8 et R. 151-43 4° du code de l’urbanisme, plus récents et méconnus.  

Cependant, les EBC ne peuvent empêcher que les coupes rases menant à un défrichement au sens du code forestier. Le classement en EBC s’applique en effet “sans préjudice des dispositions du code forestier” (article L.111-3 du code forestier). Un défrichement se définit comme un changement d’affectation des terres, par exemple la transformation d’une forêt en un terrain agricole. En revanche, le code forestier ne considère pas comme un défrichement une coupe rase de transformation d’une forêt mélangée en une plantation d’arbres en monoculture.  

Au-delà du Code de l’urbanisme : vers une meilleure concertation territoriale

Le Code de l’urbanisme permet aux élus locaux d’empêcher certaines dérives en forêt privée. Mais son utilisation révèle une tension entre la nécessité d’aménager le territoire et de protéger la biodiversité d’un côté, et les besoins croissants en bois de la filière forêt-bois de l’autre.  

Les chartes forestières de territoires, créées en 2001, devaient répondre à cet enjeu. Mais le manque de moyens financiers et réglementaires attribués à la mise en œuvre des décisions prises dans ces chartes ainsi que le manque de publicité de ces dispositifs en font des outils peu efficaces. 

L’introduction d’instances de concertation entre les propriétaires forestiers, les sylviculteurs, les élus locaux et les citoyens, dotées d’une réelle capacité de modération des échanges et de mise en œuvre des décisions, permettrait une meilleure concertation territoriale et une baisse des tensions liées aux coupes rases.