Points de vue
Coupe rase au Bois du Chat : le dialogue est incontournable
Le Bois du Chat (Corrèze) pourrait être rasé. Deux fois déjà, les bûcherons sont venus sur place – mais ils ont été accueillis avec bienveillance par les habitantes et habitants de la zone, qui ont empêché la coupe. Pour l’instant, le Bois du Chat est sauvé.
Mais cette forêt de feuillus (chênes, hêtres), en Natura 2000, pourrait être entièrement détruite dans les semaines qui viennent et remplacée par une plantation de résineux. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Cet exemple montre que les règles de gestion sylvicole de Nouvelle Aquitaine (SRGS) doivent évoluer, et interdire la transformation de forêts diversifiées en monocultures.
Alors que cette coupe pose plusieurs questions intéressantes sur la gestion sylvicole de demain, certains acteurs de la filière s’obstinent et annoncent : « Il n’est pas acceptable que des phénomènes d’opposition se développent, sous quelque forme que ce soit ».
Les habitantes et habitants bloquent la coupe
Corrèze, lundi 13 février, 6 heures du matin : des habitantes et habitants se sont réunis devant le Bois du Chat et ont fait chauffer une grande thermos de café. Des croissants ont été étalés sur une table, qui porte l’inscription “La coupe rase n’est plus à la mode”. Les bûcherons étaient attendus à tout moment pour raser l’une des dernières précieuses forêts feuillues de la région. Et en effet : les bûcherons ont débarqué… et ont immédiatement été accueillis avec bienveillance par les habitantes et habitants.
La discussion s’est engagée, et nous avons rapidement compris que les bûcherons étaient eux-mêmes attristés de devoir raser entièrement cette forêt. Les bûcherons ne pouvant pas travailler si des personnes se trouvaient sur la parcelle, ils ont négocié un report du chantier avec leur chef : ils ont plié bagage sous les applaudissements.
Deux semaines plus tard, la société d’exploitation, Argil, est revenue avec de nouveaux bûcherons. De nouveau, les habitantes et habitants étaient sur place pour les accueillir calmement : seuls trois arbres ont été coupés avant que la police n’interrompe le chantier pour éviter que des habitantes ou habitants soient blessés par des arbres coupés.
« C’est le moment de s’écouter et de réfléchir ensemble »
La coupe rase programmée et son blocage par les habitantes et habitants font beaucoup parler : le ton commence à monter.
Le collectif d’habitantes et d’habitants est entièrement ouvert au dialogue et pacifique. Mais dans le même temps, le préfet de Corrèze considère qu’il existe des « risques de trouble à l’ordre public et à la sécurité des personnes et des biens aux abords du chantier ». Il a interdit le stationnement de véhicules aux abords du bois et établi un lien indirect entre l’action non-violente du collectif de défense du Bois du Chat et une « mouvance d’ultragauche violente » : cet amalgame accroit les tensions.
Dans la foulée de la réaction du préfet de Corrèze, le Syndicat des Exploitants Forestiers, Scieurs et Industriels du Limousin (SEFSIL) a lancé un « appel à toute la filière bois pour venir apporter son soutien physiquement le lundi 6 mars. » En réponse à cet appel, le collectif de défense du Bois du Chat a rédigé un courrier aux adhérents du SEFSIL, dans lequel il indique que « c’est le moment de s’écouter et de réfléchir ensemble à la mise en œuvre d’une mesure emblématique tournée vers l’avenir et le dialogue. »
Certains professionnels de la filière ou experts forestiers ont également répondu à l’invitation relayée par le syndicat des propriétaires forestiers privés, Fransylva. Gaëtan du Bus de Warnaffe, expert forestier agréé, et gestionnaire de forêts en Occitanie, a par exemple indiqué dans une lettre (téléchargeable en intégralité ici s’interroger « en particulier sur votre définition du travail « dans les règles de l’art ». Dans le cas précis de Tarnac, est-ce vraiment faire preuve d’un art sylvicole que de pratiquer une grande coupe rase sur une pente, dans un site Natura 2000 et au-dessus d’un cours d’eau important, pour remplacer un peuplement feuillu mélangé et sain par une monoculture de douglas ? »
« Même 5 minutes de discussion, c’est trop ! »
Le dialogue et le débat public sont essentiels pour apaiser les tensions et intégrer les attentes sociétales à la gestion forestière.
C’est pourquoi une table ronde a été proposée le lundi 6 mars au SEFSIL, à l’occasion de la manifestation de la filière aux abords du bois. Une délégation composée de plusieurs élus locaux, de la députée et Présidente de la mission d’information parlementaire sur l’adaptation des forêts au changement climatique Catherine Couturier, du Comité de Défense du Bois du Chat et de Canopée a proposé un dialogue aux manifestants. Celui-ci a été refusé, mais le principe d’une table ronde future n’a pas été écarté. Canopée invite la filière à un débat public, comme celui qui avait été organisé avec le Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest, dans le Massif des Landes de Gascogne. Ce débat avait permis d’évoluer et d’améliorer très largement les relations entre forestiers et société.
« Il n’est pas acceptable que des phénomènes d’opposition se développent, sous quelque forme que ce soit »
Jean Patrick Puygrenier, administrateur de Fransylva, le syndicat des propriétaires forestiers privés, considère que la contestation de la coupe rase au Bois du Chat n’a pas lieu d’être. Pourtant, selon la députée Catherine Couturier, ce type de conflit peut permettre de faire avancer les réflexions sur les sujets forestiers, et, à terme, la loi.
Ainsi, plusieurs personnalités politiques soutiennent le Comityé de Défense du Bosi du Chat. Parmi elles : Manon Meunier, députée de Haute Vienne, Marie Pochon, députée de la Drôme, Nicolas Thierry, Député de Gironde ou encore Marie Toussaint, Eurodéputée. Plus largement, dans une tribune parue le vendredi 03 mars, des dizaines d’élus locaux, nationaux et européens, ainsi que des associations et des personnalités s’associent à la demande de dialogue autour du Bois du Chat. De son côté, l’Eurodéputé et vice-président du groupe des Verts au Parlement Européen, Philippe Lamberts, a rédigé une question écrite à la Commission Européenne pour l’alerter sur la situation.
En un mot : la coupe du Bois du Chat soulève des interrogations de fond et dépasse la sphère locale.
Le Schéma Régional de Gestion Sylvicole (SRGS) de Nouvelle Aquitaine doit évoluer
Si une forêt privée fait plus de 25 hectares, le propriétaire doit prévoir à l’avance les coupes qu’il va réaliser dans sa forêt, et les répertorier dans un document qui s’appelle le Plan Simple de Gestion (PSG). Ce plan de gestion doit alors être approuvé par une institution, qui s’appelle le Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF). Le CRPF approuve les plans de gestion s’ils sont conformes aux règles de gestion de chaque région. Ces règles, ce sont les fameux Schémas Régionaux de Gestion Sylvicole (SRGS). En résumé, les SRGS listent ce que l’on peut, doit ou ne peut pas faire en forêt quand on est propriétaire privé.
Les Schémas Régionaux de Gestion Sylvicole sont en train d’être révisés, pour la première fois depuis 17 ans. Nous avons analysé le projet de SRGS de Nouvelle-Aquitaine, et il est encore largement insuffisant. Par exemple, ce projet de SRGS autoriserait une coupe telle que celle du Bois du Chat.
Dans l’état actuel, le SRGS de Nouvelle Aquitaine autorise les coupes rases dans des forêts feuillues ou diversifiées pour les transformer en plantations de monoculture.
Pourtant, la France s’est engagée à modifier ces SRGS pour tenir ses engagement sur la biodiversité et le climat :
La France a promis de faire évoluer les règles en forêt
La France s’est engagée à mettre fin à l’érosion de la biodiversité, (Convention sur le Diversité Biologique), et à maintenir ou augmenter le puits de carbone en forêt (article 5 de l’Accord de Paris).
Pour concrétiser ces engagements, elle a promis d’intégrer « les critères (…) de préservation de services écosystémiques (dont eau et biodiversité) dans les documents encadrant la gestion forestière dans les forêts” d’ici 2021 (action 3.1 de la feuille de route sur l’adaptation des forêts au changement climatique)
Mais nous sommes en 2023, et la promesse de la France n’a pas été tenue.
La révision des Schémas Régionaux de Sylvicole, qui est en cours, est l’occasion parfaite pour valider enfin cette promesse.
La coupe du Bois du Chat est-elle vraiment légale ?
Si le Schéma Régional de Gestion Sylvicole de Nouvelle Aquitaine n’interdit pas, en principe, les coupes rases dans des forêts feuillues ou diversifiées pour les transformer en plantations de monoculture, il introduit tout de même quelques conditions. Celles-ci pourraient ne pas avoir été respectées :
- Selon nos informations, le peuplement du Bois du Chat est déclaré dans le Plan Simple de Gestion comme étant « un taillis », c’est à dire qu’il serait constitué d’arbres issus de rejets de souches préalablement coupées. Le SRGS de Nouvelle Aquitaine n’introduit aucune condition pour les coupes rases dans les taillis. Mais il semblerait que le bois du Chat ne soit pas un taillis, mais bien une futaie ou un taillis sous futaie : c’est à dire que des arbres seraient issus directement de graines. Dans ce cas, la coupe rase n’est possible que si le peuplement est « arrivé à maturité », ce qui semble ne pas être le cas. Un gestionnaire forestier professionnel vérifiera prochainement ces informations afin de les attester.
- Les parcelles menacées de coupe rase sont situées en zone Natura 2000 (directive oiseaux). En fonction de la nature du peuplement (qui sera déterminée par le gestionnaire forestier lors de son expertise), les coupes peuvent être interdites.
Informations complémentaires
- La coupe menace 6 hectares de forêt feuillue, en majorité chênes et hêtres. Il s’agit des parcelles AI (i) 0195, 0045 et 0193 au lieu-dit La Chapelle, sur la commune de Tarnac (19170).
- La forêt est située en zone Natura 2000 (directive oiseaux).
- Après la coupe rase, la forêt devrait être replantée en résineux.
- La société exploitante s’appelle Argil, une filiale du groupe Bois et Dérivés.
- La société Argil est certifiée PEFC.
- Le Parc Naturel Régional de Millevaches a proposé plusieurs dizaines de milliers d’euros à la propriétaire de la forêt pour laisser vieillir ses arbres et éviter la coupe rase ; mais elle a refusé.