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Le 49.3 du gouvernement coupe l’herbe sous le pied de l’ONF
Avec succès : des députés de tous les partis ont déposé des amendements en ce sens.
Mais les débats à l’Assemblée n’ont pas pu avoir lieu : le gouvernement a coupé court aux discussions en activant le 49.3. Il affirme avoir pris la question de l’ONF au sérieux et attribué 10 millions supplémentaires au service public forestier – mais ce n’est qu’un coup de comm’ : en réalité, si le plan du gouvernement se concrétise, 35 postes supplémentaires seront supprimés cette année à l’ONF.
Au Sénat, où la tendance aurait encore pu être inversée, le vote a pris une tournure très surprenante. Finalement, la bataille des idées est gagnée – mais le service public forestier n’est pas encore sauvé.
Plus de 180 000 personnes pour le maintien du service public forestier
Du 31 octobre au 3 novembre 2022, Canopée et le SNUPFEN (le syndicat majoritaire de l’ONF) ont déclamé la liste des plus de 180 000 signataires de la pétition contre la privatisation de l’Office National des Forêts sur l’Esplanade des Invalides, à côté de l’Assemblée Nationale. Le but : peser sur les députés, qui devaient voter le projet de loi de finances pour 2023, qui comprend le budget de l’ONF.
Sans nous arrêter une seule minute, nous avons déclamé ces noms jour et nuit. Les visites de personnalités et de politiques furent nombreuses : parmi elles, celles des députés de la France Insoumise, du Parti Socialiste, des Verts, des Sénateurs Verts, de l’acteur Bruno Solo, de l’activiste Thomas Brail , du philosophe Baptiste Morizot ou encore du photographe Yann Arthus Bertrand :
Grâce à cet événement, et à 3500 interpellations des député-es par des membres de Canopée, des député-es de tous les partis ont déposé des amendements pour augmenter les effectifs de l’ONF. Parmi les plus ambitieux :
- Plusieurs amendements pour réhausser de 4000 postes les effectifs de l’ONF, portés par :
- L’ensemble du groupe La France Insoumise ;
- L’ensemble du groupe Les Verts ;
- Des députés du groupe Les Républicains (Dino Cinieri et Pierre Cordier) ;
- Plusieurs amendements pour réhausser de 2000 postes les effectifs de l’ONF, portés par
- L’ensemble du groupe Socialiste ;
- Plusieurs amendements pour réhausser les effectifs de 200 postes, portés par
- Des députés Renaissance (autour de Bertrand Bouyx et d’Elenore Caroit).
Les députés de plusieurs partis d’extrême droite ont également déposé des amendements en ce sens.
Le 49.3 coupe l’herbe sous le pied des députés
Les parlementaires de tous bords politiques se doutaient que le gouvernement choisirait d’activer l’article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de couper court aux débats à l’Assemblée Nationale, en engageant sa responsabilité (c’est à dire qu’il peut être destitué si l’Assemblée vote une motion de censure).
C’est pourquoi les parlementaires avaient signé une tribune demandant à ne pas activer le 49.3 avant le vote sur l’ONF. Cette tribune a été signée par plus de 40 député-es de nombreux partis :
Pourtant, le mercredi 2 novembre, alors que le prochain point à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale était l’augmentation des postes de l’ONF, la Premier Ministre Elisabeth Borne a décidé d’activer le 49.3 et de mettre fin aux débats.
Le gouvernement prévoit de réhausser les effectifs de l’ONF… vraiment ?
Suite au 49.3, le gouvernement a annoncé vouloir augmenter les effectifs de l’ONF pour 2023, de 80 postes (il a alloué 10 millions supplémentaires à l’ONF par rapport à ce qui était prévu).
Cependant, ce que le gouvernement a oublié de préciser, c’est qu’il prévoyait la suppression de 80 postes cette année : son « augmentation » du budget est donc en réalité un retour au statut quo.
De plus, sur les 80 postes annoncés, seuls 60 sont financés : les 20 autres devront être « auto-financés » par l’ONF. Dans les faits, 20 postes pourraient donc être supprimés l’année prochaine.
Pour finir, il est important de préciser que 95 postes ont déjà été supprimés l’année dernière : le gouvernement ne prévoit pas de revenir sur cette décision… ni sur celle de supprimer 95 nouveaux postes en 2024 puis en 2025.
Le Sénat peut voter une augmentation des postes
Désormais, c’est le Sénat qui doit se prononcer sur le texte : il pourrait voter une augmentation des postes à l’ONF… mais le texte retournera ensuite à l’Assemblée nationale, où un nouveau 49.3 pourrait être activé. Si la pression médiatique est suffisamment importante, le gouvernement pourrait néanmoins choisir de garder les éventuelles avancées du Sénat dans le texte final.
Canopée poursuit le combat aux côtés des personnels de l’ONF !
A quoi sert l’Office National des Forêts (ONF) ?
En France, 25% des forêts sont publiques. Cela signifie qu’elles appartiennent aux communes (on parle de forêts communales) ou à l’État (forêts domaniales).
Ces forêts communales et domaniales sont gérées par l’ONF : ce sont les agent.es de l’ONF qui observent les dynamiques naturelles, surveillent les départs de feux, sélectionnent les arbres à couper, organisent l’accueil du public, protègent la biodiversité, s’assurent que le code forestier est respecté…
L’ONF est un établissement public, ce qui doit en théorie lui permettre de travailler sur le temps long, et de ne pas être motivé par une logique de rentabilité.
C’est quoi le problème à l’ONF ?
En 20 ans, l’ONF a perdu 38% de ses effectifs. Cela signifie que les surfaces gérées par chaque agent.e augmentent, et que certaines tâches doivent être abandonnées. Frederic Bedel, ingénieur forestier à l’ONF, explique : “L’ agent forestier n’est plus doté des moyens ni de la structure pour assurer ses priorités, comme l’adaptation des écosystèmes et le maintien du couvert forestier”. La dernière décision en date : 475 suppressions de postes supplémentaires d’ici 2025.
Dans le même temps, le changement climatique rend encore plus important le rôle de l’ONF.
Les incendies de cet été ainsi l’ont montré : nous allons devoir être encore plus attentionnés vis-à-vis de nos forêts. 50 départements ont été touchés par les incendies ou un risque d’incendie, ce qui implique de nombreuses forêts publiques. Les épidémies de scolytes, des insectes ravageurs qui ont détruit des milliers d’hectares de forêts publiques dans le Grand Est et en Bourgogne Franche Comté, ont également causé de gros dégâts dans nos forêts et fait perdre une source précieuse de recettes aux communes forestières : il est urgent d’avoir suffisamment d’agents assermentés sur le terrain.
L’ONF est peu à peu privatisé : les postes de fonctionnaires sont peu à peu remplacés par des contractuels. La loi ASAP (Accélération de la Simplification de l’Action Publique), votée en 2020, a permis au gouvernement de modifier par ordonnance le code forestier, afin d’encourager le recrutement de forestiers de droit privé. Un pas de plus vers la privatisation. Le statut de fonctionnaire établit des avantages, comme la sécurité de l’emploi, et permet l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique et la protection de ses missions. Il tend à garantir que le service public soit rendu de manière impartiale et dans l’intérêt général. Aujourd’hui, l’ONF compte encore environ 5000 fonctionnaires pour 3000 contractuels.
Les objectifs des forestiers sont de plus en plus orientés vers la production de bois. Si, au niveau national, l’ONF se défend de toute augmentation globale de la récolte de bois, la situation est parfois plus contrastée : par exemple, dans la forêt domaniale de Mormal, l’une des plus grandes du Nord de la France, les prélèvements sont supérieurs aux objectifs fixés par le plan d’aménagement et sont à l’origine d’un conflit avec les associations locales. La position de l’État et les obligations de rendement imposées (l’ONF produit plus de 35% du bois en France, sur 25% de la surface forestière) contribuent à un sentiment de perte de sens des agents de l’ONF et mettent à mal leurs missions traditionnelles. Pour faire des économies, ce sont les postes d’ouvriers qui sont les premiers supprimés et remplacés par des sous-traitants, moins bien payés et plus précaires. Résultat : davantage de dégâts lors des chantiers d’exploitation. La mise à mal de la relation entre les agents de l’ONF et leurs concitoyens est un dégât collatéral de cette évolution. Perçus comme des « coupeurs de bois », ils sont aujourd’hui dans une position délicate. Ils font face à la direction d’une part, et de l’autre à l’opinion publique, préoccupée par l’impact nocif de la gestion actuelle et l’état de la forêt publique.
Autre conséquence : la multiplication des partenariats commerciaux douteux. Le pire exemple est sans doute celui de Total, qui finance plusieurs projets de plantation d’arbres afin de se donner une image verte. Non seulement l’ONF brade son image pour servir de caution à des entreprises, mais elle déforme la réalité même du métier de forestier. En forêt, l’acte de planter est exceptionnel : l’essentiel des forêts se renouvelle naturellement et l’art du forestier est justement d’accompagner cette dynamique naturelle. Mais « planter des arbres » est devenu un business très juteux, alors les opérations de communication se multiplient. En première ligne, les agents qui se retrouvent à devoir assumer des projets qui n’ont parfois aucun sens d’un point de vue sylvicole.
Il faut désormais faire monter le rapport de force. Les syndicats de l’Office National des Forêts, et en particulier le Snupfen, syndicat majoritaire de l’ONF, multiplient les actions et les manifestations pour dénoncer ces suppressions de poste. Le 17 décembre 2020, nous avons occupé ensemble la direction de l’ONF à Nancy pour ouvrir un débat public sur ce sujet. Et le 25 novembre 2021, nous étions aux côtés de l’ONF pour manifester devant Bercy.
La suite de l’histoire, nous l’écrirons ensemble dès lundi.