Analyses
Gardanne : une centrale “verte” qui aggrave le dérèglement climatique

À Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, l’ancienne centrale à charbon reconvertie en unité de production d’électricité à partir de bois est le symbole d’un contresens écologique. Si le contrat conclu avec GazelEnergie va jusqu’à son terme, l’Etat aura dépensé 800 millions d’euros pour brûler 3,8 millions de tonnes de bois, générant plus de 6 millions de tonnes équivalent CO2, soit davantage que si elle avait fonctionné au charbon.
La contribution de Canopée à l’enquête publique en cours jusqu’au 6 juin détaille ces éléments. Elle est disponible en fin d’article.
Une opposition ancienne et persistante
Dès 2012, le projet de conversion de la centrale suscite de vives inquiétudes. Des associations environnementales, des riverains mais aussi des experts forestiers alertent sur le coût écologique de la combustion de bois, notamment en raison de la pression exercée sur les forêts locales.
En novembre 2023, après des années de batailles judiciaires, la Cour d’appel de Marseille a suspendu la procédure et finalement imposé un complément à l’étude d’impact, pointant l’insuffisance de l’analyse des impacts de l’approvisionnement en bois.
Or, le jour précédent la publication de l’analyse de l’Autorité environnementale sur les éléments complémentaires communiqués par GazelEnergie, l’État signait un contrat d’achat d’électricité avec GazelEnergie à un tarif au moins deux fois supérieur au prix du marché.
« L’État a tout simplement décidé d’ignorer la procédure en cours » dénonce Nicholas BELL, administrateur de Canopée et membre du collectif SOS Forêts du Sud1.
Un bilan carbone alourdi par la conversion
Officiellement, la combustion du bois est considérée comme neutre en carbone au motif que le CO2 émis serait réabsorbé par la repousse des arbres.
C’est la thèse défendue par GazelEnergie : « la régénération naturelle ou par plantation de la forêt va absorber le CO2 libéré (…) et enclencher un cycle sans émission nette de gaz à effet de serre » peut-on lire dans son étude.
Cette hypothèse est de plus en plus critiquée par la littérature scientifique2. L’Agence de la transition écologique (ADEME) elle-même estime que « ce mode de calcul est insatisfaisant, car il ne prend pas en compte le délai entre les émissions de combustion immédiates et le temps long de pousse des arbres »3.
Logiquement, l’Autorité environnementale a demandé à GazelEnergie « de compléter le bilan des émissions de gaz à effet de serre en indiquant les quantités de CO2 d’origine biogénique »4.
On a donc fait le calcul ! Et le résultat est sans appel : Gardanne émet 20 % de plus que lorsqu’elle fonctionnait au charbon5 !
Un rendement énergétique insuffisant
Si le bilan carbone de la centrale est désastreux, c’est en raison d’un rendement très faible. En 2018, année record, la centrale n’a converti en électricité que 33 % de l’énergie issue de la combustion du bois, ce qui signifie que sept arbres sur dix ont été brûlés pour rien.
Mais GazelEnergie nous l’assure : une hausse du rendement à 37 % est prévue en 2030.
Un chiffre qui tombe à point nommé, puisque la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED)6 impose en effet un seuil de rendement minimal de… 36 % (!) pour qu’une centrale comme Gardanne produisant exclusivement de l’électricité puisse être considérée comme “renouvelable”.
Cette coïncidence soulève des questions légitimes sur la portée réelle de ces prévisions, qui ne sont accompagnées d’aucune justification technique.
Mais les exigences de cette directive vont bien au-delà du seul rendement énergétique.
Une directive européenne ignorée
Pour éviter que le développement du bois-énergie ne se fasse au détriment des forêts, la directive RED III impose des critères stricts sur la durabilité du bois. Cela exclut notamment les méthodes de sylviculture à l’origine d’atteintes substantielles aux sols, à la biodiversité ou à la capacité de la forêt à se régénérer – autant de critères pensés pour préserver la résilience des écosystèmes forestiers.
La directive devait être transposée au plus tard le 21 mai 2025. Mais à ce jour rien n’a été fait. La France, comme les autres Etats membres, traîne des pieds.
En cause : une contradiction croissante entre les objectifs de développement des énergies renouvelables et de préservation des forêts. En imposant un encadrement rigoureux des prélèvements forestiers destinés à la production d’énergie, la directive restreint mécaniquement la quantité de bois éligible à cette fin – au risque de compromettre les trajectoires nationales en matière d’énergies renouvelables, fondées sur une croissance continue de la biomasse.
Ce retard de transposition ne rend pas RED III inapplicable pour autant. Les dispositions précises, inconditionnelles et suffisamment claires peuvent être directement invoquées devant les juridictions nationales.
Or, aucune de ces contraintes n’apparaît dans les documents de GazelEnergie analysés par Canopée dans sa contribution7. La directive RED III n’est même pas mentionnée.
Comme si son entrée en vigueur pouvait être ignorée !
L’analyse conduite par Canopée montre clairement que la planification du projet n’intègre ni les seuils de durabilité à venir, ni leurs implications sur les volumes de bois mobilisables.
Un coup porté au puits de carbone forestier.
Pour alimenter la centrale, GazelEnergie prévoit de prélever à terme chaque année entre 335 000 et 412 000 tonnes de bois par an dans les forêts du sud de la France8.
Une telle extraction accentue le déclin déjà engagé du puits de carbone forestier – cette capacité de la forêt à absorber davantage de CO2 qu’elle n’en émet indispensable pour compenser les émissions résiduelles en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Sous l’effet du dérèglement climatique, la croissance des arbres ralentit et la mortalité augmente, entrainant la chute du puits de carbone. Dans ce contexte, stabiliser, voire réduire les prélèvements de bois est le principal levier pour préserver les puits de carbone. Mais la France a fait un choix inverse : elle a augmenté ses objectifs de récolte de 20 % pour répondre à la demande en bois.
La comparaison des projections de l’étude IGN-FCBA9 selon différents scénarios démontre que cette augmentation de 20 % conduit à une perte de la capacité de la forêt à séquestrer du carbone de 17Mt CO2e/an à l’horizon 2050.
Et cela correspond à la différence entre l’objectif de séquestration carbone fixé à la France pour 2030 par le droit européen (-34 Mt CO2e/an)10 et ce que la France a déclaré à la Commission européenne être en capacité d’atteindre (-18 Mt CO2e/an)11.
C’est pour cela que RED III est important. L’article 29.7 de la directive exige que la récolte de bois-énergie pour un projet soit compatible avec cet objectif de séquestration de carbone.
La centrale de Gardanne représente l’exact contraire de cet objectif. Son approvisionnement en bois contribue directement à empêcher la France de respecter ses engagements climatiques.
Transposer RED III permettra, un encadrement plus rigoureux du bois-énergie, en favorisant des pratiques sylvicoles respectueuses des multiples fonctions de la forêt. Il est également indispensable d’instaurer dès aujourd’hui un pilotage strict du bois-énergie au niveau régional et de réserver cette ressource aux projets les plus cohérents.
Conclusion
Le paradoxe est cruel : alors que la France n’a réduit ses émissions que de 6,8 Mt CO2e entre 2023 et 2024, elle pourrait en générer presque autant par une seule installation, en 8 ans, la durée du contrat d’achat d’électricité consenti à GazelEnergie par l’Etat12.
« Gardanne est l’exemple caricatural de ce qu’il ne faut plus faire : utiliser de l’argent public en toute opacité pour subventionner une énergie non renouvelable », conclut Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour l’association Canopée.
Sources
3 Publication, « Le bois, une énergie renouvelable en 10 questions », question 8, novembre 2023
4 Avis de l’Autorité environnementale du 5 décembre 2024, p.3
5 Contribution de Canopée à l’enquête publique de Gardanne
6 RED III Directive n°2023/2413
7 Contribution de Canopée à l’enquête publique de Gardanne
8 Complément d’étude d’impact de GazelEnergie, p.16 : “Ainsi un volume d’activité a été fléché en concertation avec l’Etat, vers le terminal minéralier de Fos-sur-Mer, à hauteur de 150 000 tonnes par an (plaquettes forestières). Le complément local nécessaire à l’alimentation de la centrale sur 5 000 heures est donc de 335 000 tonnes. Il s’agit de l’hypothèse « de base » qui sera étudiée dans le présent complément d’étude d’impact au regard des enjeux de disponibilité et des conséquences en termes d’impacts sur les écosystèmes, à l’échelle d’un bassin géographique de référence. Une variante a été également étudiée sur ce qui peut déjà être considéré comme un scénario « super majorant », en introduisant une hypothèse d’approvisionnement de 412 000 tonnes annuelles de bois forestier local.”
11 Plan intégré Energie Climat communiqué à la Commission, Juillet 2024.
12 Contribution de Canopée à l’enquête publique