Analyses

Proposition de loi forêt de la deputée Sophie Panonacle : analyse

Publié le Rédigé par Canopée

15 janvier 2024 – Une nouvelle loi sur la gestion forestière a été proposée par la Députée Sophie Panonacle (Renaissance). Selon notre analyse, il s’agit d’un texte globalement bénéfique à l’amélioration de la gestion forestière française. Mais des points restent à préciser.

Cette proposition s’appuie sur le rapport de la mission d’information parlementaire sur l’adaptation des forêts au changement climatique, et reprend de nombreux éléments issus de la proposition de loi transpartisane pour l’amélioration de la gestion forestière (soutenue par des députés La France Insoumise, MoDem, Les Verts, Parti Socialistes et LIOT). De nombreux points sont néanmoins à compléter : une mise en commun avec le texte transpartisan semble souhaitable.

Les points forts de la proposition de loi

🟢 L’incitation fiscale à la gestion forestière à couvert continu (article 8). Actuellement, les propriétaires forestiers bénéficient tous du même taux d’aide pour leurs travaux forestiers : 25%. L’article 8 de la proposition de loi permettrait de porter ce taux à 40% pour les propriétaires qui s’engagent à gérer leur forêt en couvert continu (sans passer par la coupe rase, comme présenté par exemple dans notre rapport sur les alternatives à la coupe rase dans les peuplements pauvres).

🟢 L’interdiction de la récolte de bois inférieurs à 7 centimètres (article 5). Ces menus bois et rémanents forestiers contiennent des minéraux essentiels à la bonne santé des sols. Il est primordial de les laisser en forêt pour et de s’assurer ainsi qu’ils ne soient pas utilisés à des fins de production d’énergie par exemple.

🟢 L’interdiction du déssouchage ou de la récolte de racines (article 5). Le déssouchage dégrade fortement l’état des sols forestiers en déstructurant profondément les réseaux mycorhiziens, diminuant les stocks de carbone et la capacité de rétention en eau des sols.

🟢 Le renforcement du droit de préemption des communes et de l’Etat pour l’achat de forêts (article 9). La proposition de loi permettrait à l’Etat et aux communes de bénéficier d’un droit de préemption sur toutes les ventes de forêts qui ne sont pas soumises à un plan de gestion. Cela renforcerait le droit de préemption des communes et de l’Etat : actuellement, les communes ont un droit de préemption lorsqu’une forêt à vendre est d’une superficie inférieure à 4 hectares ou lorsqu’il s’agit d’une forêt publique. L’Etat a un droit de préemption lorsqu’une forêt à vendre est d’une superficie inférieure à 4 hectares et qu’une autre forêt domaniale jouxte la parcelle en vente. Cette proposition vise à répondre aux problèmes posés par le morcellement de la forêt privée, en augmentant peu à peu la part de forêt publique, gérée par l’Office National des Forêts.

Les articles à préciser

🟡 L’encadrement des coupes rases (article 5). La proposition de loi donne une définition des coupes rases : il s’agit des coupes « supérieures à 0,5 hectare d’un seul tenant, enlevant en une seule fois la totalité du peuplement forestier à l’exception des tiges réservées pour le paysage ou la biodiversité, sans régénération acquise, et à l’exception des coupes motivées par des impératifs sanitaires ou de prévention du risque d’incendie. » Un seuil maximal de 2 hectares serait fixé pour toutes les forêts sans plan de gestion. Le seuil maximal pour les forêts sous plan de gestion serait fixé par un arrêté des Ministères de l’agriculture et de l’environnement. Aucun plan de gestion actuellement validé ne serait remis en cause : ces mesures n’entreraient en vigueur qu’après la durée prévue pour les plans de gestion en vigueur.

Actuellement, les coupes rases ne sont ni définies ni encadrées par la loi : cet article marquerait une amélioration. Mais la délégation de l’établissement du seuil maximal aux Ministères de l’agriculture et de l’environnement est porteur d’une forte incertitude. Une alternative pourrait être de limiter toutes coupes rases à plus de 4 hectares, en déléguant aux Ministères le soin de décrire les situations plus restrictives (Natura 2000, forte pente, forêt ancienne par exemple). Des seuils différenciés sont présentés dans l’article 3 de la proposition de loi transpartisane.

🟡 L’intégration de la biodiversité dans les plans de gestion (article 6). Actuellement, les plans simples de gestion en forêt privée ne comportent aucun volet permettant de s’assurer de la non-régression de la biodiversité. La France s’y était pourtant engagée dans la feuille de route pour l’adaptation des forêts au changement climatique (action 3.1) avant 2021. L’article 6 de la proposition de loi indique que les plans de gestion devront « présenter les mesures de gestion ou précautions particulières prévues pour préserver la biodiversité et la qualité des sols ». Cette mesure permettrait une amélioration par rapport à la situation actuelle, mais elle ne précise pas que ces mesures de gestion devront s’assurer du principe de non-régression de la biodiversité.

Les grands oublis de la proposition de loi

🔴 Aucune mesure en faveur de la diversification des plantations. 84% des nouvelles plantations sont des monocultures. La proposition de la Députée Panonacle ne prévoit aucune mesure permettant de garantir la diversification des plantations, contrairement à la proposition de loi transpartisane. Cette dernière suggère, dans son article 4, de diversifier les plantations selon les modalités suivantes : sur les surfaces de moins de 4 hectares, une obligation de planter au moins deux essences objectif présentant une complémentarité de traits fonctionnels (avec au moins 30% de l’essence la moins présente) ; sur les surfaces de plus de 4 hectares, une obligation de planter au moins trois essences objectif présentant une complémentarité de traits fonctionnels (avec au moins 30% de l’essence la moins présente).

🔴 Aucune mesure de soutien aux petites et moyennes scieries. En France, le nombre de scieries est passé de 15000 scieries en 1980 à 1500 aujourd’hui. Les petites et moyennes scieries de feuillus sont particulièrement en difficulté. La proposition de la Députée Panonacle ne prévoit aucune mesure de soutien, contrairement à la proposition de loi transpartisane (article 1).

🔴 Aucune mesure en faveur de la transparence des documents de gestion. Un récent revirement de jurisprudence de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) donne pourtant accès au public à la partie environnementale des plans de gestion. C’est une avancée importante dans le dialogue entre la société et les propriétaires forestiers. Il serait bénéfique d’ancrer ce principe dans la loi, comme l’indique la proposition de loi transpartisane (article 8).

🔴 Aucune mesure contre les conflits d’intérêt et la distorsion de concurrence en faveur des coopératives forestières. Actuellement, l’article D.314-8 du code forestier permet aux coopératives d’exercer à la fois des activités de conseil, de travaux et de vente de bois. Rien ne garantit qu’une coopérative conseille un propriétaire sur une vision à long terme de son patrimoine forestier ; elle pourrait lui conseiller des travaux lourds et coûteux, comme des coupes rases, dont la coopérative serait maître d’œuvre. C’est ce que révèle notre enquête sur la coopérative Alliance Forêts Bois. La proposition de loi transpartisane prévoit de séparer ces trois activités dans son article 11, contrairement à la proposition de loi portée par la Députée Sophie Panonacle.