Enquêtes
Le système Alliance Forêts Bois
L’enquête montre comment cette coopérative a mis en place un système reposant sur les coupes rases et les plantations en monoculture, comment elle diffuse ce modèle et pourquoi ce sont nos impôts qui maintiennent ce système en vie.
Un petit récit des grandes lignes d’une enquête de terrain, avec des témoignages exclusifs, des révélations et des découvertes étonnantes.
Retrouvez l’enquête ici en intégralité
Alerte dans la Vienne !
« C’est lunaire, terrible, il ne reste plus aucun arbre, plus rien ! Je connais bien le coin car je fais beaucoup de ballades à vélo… mais aujourd’hui, au lieu de rouler en forêt, je suis tombé sur une énorme coupe rase ! »
Les appels comme celui-ci sont quasiment quotidiens. Aujourd’hui, c’est Patrick, un habitant de la Vienne, qui m’appelle pour m’alerter sur une forêt qui a été rasée près de chez lui.
« Dis moi Patrick, est-ce que tu sais quelle entreprise a réalisé cette coupe ?
– Oui, c’est écrit sur le panneau, juste devant moi : l’entreprise s’appelle Alliance Forêts Bois ! »
Intéressant. Les appels concernant Alliance Forêts Bois sont de plus en nombreux. Il s’agit de la plus grande coopérative forestière française, qui compte presque 700 employés et commercialise plus de 3 millions de mètres cube de bois par jour (soit l’équivalent de 350 camions de bois chaque jour, comme le rappelle fièrement son directeur général, Stéphane Viéban). Je raccroche et décide de me rendre sur place.
Quelques jours plus tard, me voilà sur le siège passager de la voiture de Patrick. Nous sommes secoués par de gros cailloux qui jonchent la route forestière. Derrière nous, le clocher de Lésigny, une petite bourgade tranquille. Devant nous, la forêt… ou ce qu’il en reste. Car Patrick me prévient :
« Attention, derrière ce virage, ça ne va pas être joli joli… »
Tout à coup, plus un arbre. Patrick avait dit vrai : cette parcelle de forêt a été totalement rasée. Plus un oiseau, plus un mètre d’ombre, juste le soleil sur la terre nue.
« Ouch… difficile de croire qu’il y avait de la forêt ici.
– Si, si ! Une forêt mélangée de pins, de chênes, de charmes, de merisiers… Mais Alliance Forêts Bois a tout rasé jusqu’à la moindre brindille, labouré le sol, et replanté une monoculture de résineux à la place. »
Ce n’est pas la première fois que j’entends qu’Alliance Forêts Bois rase une forêt vivante, diversifiée et feuillue, pour replanter une monoculture de résineux à la place. Canopée dénonce cette dynamique, néfaste pour la biodiversité, le stock de carbone et les sols depuis des années. Alliance Forêts Bois semble jouer un rôle tout particulier là-dedans. Je fais décoller le drône pour bien documenter la situation, photographie une zone humide qui se trouve désormais exposée en plein soleil et qui pourrait donc être condamnée, remercie Patrick et plie bagage.
Le graphique qui trahit Alliance Forêts Bois
Changement de décor : dix jours plus tard, je suis à Paris, en pleine réunion avec l’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois. Canopée a été invité pour redéfinir les critères d’un label de gestion durable. Rien à voir avec la coupe rase réalisée dans la Vienne, jusqu’à ce que, la réunion touchant à sa fin, Stéphane Viéban, le directeur d’Alliance Forêts Bois, se lève et demande à présenter un court diaporama. Il projette alors au tableau un graphique. A première vue, rien de bien scandaleux. Mais en y regardant de plus près, je comprends la terrible signification que le graphique pourrait avoir pour nos forêts françaises :
Stéphane Viéban explique, l’air de rien :
« C’est un petit diagramme, c’est les chiffres 2021. Vous avez, à gauche, la surface des forêts : donc 72% de forêt feuillue, 28% de forêt résineuse. (…). Et ensuite, si on descend la production de sciages en France, vous avez 17% de feuillus et et 83% de résineux. (…) Par rapport à la demande en bois de nos concitoyens : c’est quand même ça le sujet. Voilà. (…) Si on ne contribue pas à essayer de faire gentiment évoluer les choses, je ne sais pas si… parce que quand même ! »
Concrètement, Stéphane Viéban est en train d’expliquer que les feuillus sont moins productifs que les résineux, mais que la forêt française est surtout feuillue… et qu’il serait donc pertinent, pour « répondre à la demande en bois de nos concitoyens », de remplacer les forêts feuillues par des plantations résineuses. En clair : raser nos forêts pour planter des résineux. Oui, c’est bien ça qu’il appelle « faire gentiment évoluer les choses ».
Pourtant, Alliance Forêts Bois est une coopérative. Elle conseille des propriétaires forestiers privés sur la gestion de leurs bois et les aide à effectuer les travaux. Quel intérêt pourrait-elle avoir à vouloir à tout prix raser les forêts de ces propriétaires pour y planter des résineux ?
L’enquête peut commencer.
Alliance Forêts Bois plante surtout des résineux
Quelques recherches sur le site de la coopérative permettent de trouver la part des arbres plantés par Alliance qui sont des résineux. Le rapport d’activités 2021 de la coopérative met en effet en avant la plantation de 684 680 plants de feuillus… et laisse entendre que si ce chiffre est élevé, cela signifie qu’Alliance a planté une grande part de feuillus. Mais le même rapport indique qu’au total, Alliance a installé 11,5 millions de plants en 2021. Le calcul est vite fait : Alliance a planté moins de 6% de feuillus, soit 94% de résineux.
Un objectif : alimenter l’industrie
En fouillant les recoins d’internet, je tombe sur un document produit par Alliance Forêts Bois il y a 10 ans : le Manifeste en faveur des Forêts de Plantation. Dès les premières pages, je comprends que j’ai tiré le gros lot.
« Il faut rentrer dans les logiques industrielles pour abaisser les coûts de production (page 7), les mélanges d’espèces ou d’objectifs au sein d’un même peuplement aboutissent souvent à des échecs techniques et économiques » (page 6), « la limitation, sans justification, de la surface des coupes rases et donc du chantier de reboisement entraînera une dégradation d’une rentabilité déjà fragile » (page 6)… Dans ce manifeste, Alliance plaide en faveur des grandes coupes rases et des plantations en monoculture pour produire davantage de bois.
Il y a quelques années, Alliance Forêts Bois ne prenait pas encore la peine de se cacher derrière des éléments de communication réfléchis. Son ancien président, Henri de Cerval, expliquait dans une interview donnée en 2017 : « Notre job, c’est d’approvisionner les industriels. »
Tout s’explique lorsque je découvre que l’ancêtre d’Alliance Forêts Bois, la CAFSO, a été créé par l’ancêtre de l’industriel papetier Smurfit-Kappa. C’est pour répondre aux besoins de l’industrie qu’Alliance a été créé, et c’est pour répondre aux besoins de l’industrie qu’Alliance rase des forêts pour replanter des monocultures résineuses.
Un itinéraire sylvicole ultra-simplifié accro aux coupes rases
Bing ! Je suis interrompu dans mes recherches par le message d’une collègue : « Tu devrais contacter Rémi. Il bosse chez Alliance mais il est mécontent de ce qu’on lui demande de faire. Il pourra te donner des informations depuis l’intérieur. »
Ni une, ni deux : j’appelle ce mystérieux informateur. Il m’explique précisément le modèle sylvicole ultra-simplifié qu’Alliance a mis en place, basé sur les économies d’échelle et les cycles courts. Un modèle plus proche de celui de l’agriculture industrielle que d’une bonne gestion forestière :
En prenant l’avis de plusieurs gestionnaires forestiers indépendants, j’apprends que les principaux problèmes de ce mode de gestion sont les suivants : la coupe rase a de nombreux impacts négatifs, comme la diminution brutale des stocks de carbone, la destruction du micro-climat, le tassement des sols ou encore la baisse des populations d’oiseaux forestiers. Le dessouchage déstructure les réseaux racinaires du sol et diminue la capacité de rétention d’eau des sols. La préparation du sol déstructure définitivement le sol, et l’apport d’amendements modifie la vie microbienne de ces sols. Les monocultures quant à elles entraînent une diminution de la biodiversité et sont plus sensibles aux ravageurs. Les jeunes monocultures de pins maritimes sont particulièrement sensibles aux incendies.
J’aimerais savoir quelle part de la forêt gérée par Alliance repose sur ce modèle ultra-simplifié. J’envoie donc un mail à Stéphane Viéban, le directeur de l’Alliance Forêts Bois, pour lui poser la question, mais il n’y répondra jamais. En revanche, je découvre, dans une expertise commandée par le Ministère de l’Agriculture et le Ministère de la Transition Écologique (l’expertise CRREF), qu’une limitation des coupes rases à 2 hectares triplerait les coûts des travaux pour Alliance Forêts Bois : la coopérative semble être tout à fait accro aux coupes rases.
Alliance Forêts Bois à la conquête de la France
Mais peut-être qu’Alliance rase principalement les monocultures de pins maritimes des Landes ? Il y aurait certainement mieux à faire, mais ce ne serait pas scandaleux. En passant quelques appels, j’arrive à me procurer le numéro de Claude, un salarié d’Alliance Forêts Bois en Normandie. Les forêts normandes n’ont vraiment rien à voir avec les forêts landaises : voyons ce qu’on lui demande de faire là bas.
Il raconte :
« Vous êtes mal informé : je ne travaille plus pour Alliance. J’ai démissionné ! En fait, je travaillais pour la coopérative forestière COFOROUEST, qui a été rachetée par Alliance Forêts Bois en 2018. Les salariés n’ont pas été consultés pour savoir si nous étions en accord avec la fusion, nous avons simplement été mis devant le fait accompli. On nous a alors présenté les choses un peu brutalement : lors de la première réunion avec la nouvelle direction, Stéphane Viéban, le directeur d’Alliance, nous a annoncé : “À partir de maintenant, il y aura trois mots d’ordres : Le premier c’est Business, le deuxième c’est Business et le troisième c’est Business”.
– Ça a le mérite d’être clair !
– Vrai… je me suis ensuite trouvé très vite en désaccord avec la nouvelle direction. Ils ont tout de suite essayé d’amener leurs pratiques sylvicoles sur notre gestion. “On va révolutionner votre gestion”, nous ont-ils dit. On va venir avec nos rouleaux landais, pour planter du pin maritime et du pin taeda en monoculture. Ensuite, ils se sont vite rendu compte qu’on n’a pas les mêmes sols en Normandie et dans les Landes : ils ont dû s’adapter. Mais ils sont globalement restés sur le même modèle : c’est-à-dire plutôt le modèle coupe-rase et plantation. »
Le témoignage de Claude confirme mes craintes : en rachetant ses concurrents, Alliance Forêts Bois propage son modèle sylvicole ultra-simplifié. Et l’agrandissement d’Alliance est énorme : la coopérative a successivement phagocyté 18 autres coopératives et s’étend désormais sur toute la moitié Ouest de la France :
La forêt est à la croisée des chemins. Au carrefour des enjeux climatiques et de préservation de la biodiversité, face à des attentes sociétales toujours plus fortes, nous sommes face à un choix : intégrer pleinement ces enjeux pour redéfinir une économie forestière plus juste et plus soutenable ou les ignorer, et prendre le risque d’enfermer la filière forêt-bois dans une impasse.
Ce choix se joue au niveau européen. Dans la foulée des élections européennes, la commission s’est engagée à réviser l’ensemble de ses politiques dans le cadre d’un Green Deal européen. Des premiers éléments du texte concernant une future stratégie européenne sur les forêts ont commencé à circuler. Nous, scientifiques, acteurs de la filière forêt-bois et associatifs, voulons également faire entendre notre voix et expliquer pourquoi il nous semble que le texte de la commission va globalement dans le bon sens.
La force des orientations proposées par la commission est d’ancrer la forêt dans une stratégie plus large sur la biodiversité. Le débat sur la forêt se limite en effet trop souvent à une approche quantitative : oui, la surface forestière gagne du terrain en Europe, mais cet indicateur est insuffisant. La très large majorité des plantations qui sont actuellement réalisées sont peu diversifiées, quand elles ne sont pas monospécifiques. Malgré l’engagement international de l’Europe dans le cadre de la Convention sur la Diversité Biologique, les politiques publiques mises en œuvre n’ont pas réussi à enrayer l’érosion de la biodiversité ou à restaurer la qualité de nos écosystèmes. Si cette érosion est particulièrement forte dans les milieux agricoles, la forêt ne fait pas exception : d’après la dernière évaluation effectuée dans le cadre de la directive habitats-faune-flore, plus de trois habitats forestiers suivis sur quatre sont dans un état de conservation défavorable.
Pourtant, les études scientifiques convergent sur un point : en général, plus une forêt est riche en biodiversité, plus un peuplement d’arbres est mélangé, plus il est stable, résilient, et productif. Maintenir ou restaurer des forêts riches en biodiversité est sans doute la stratégie la plus efficace pour adapter ces écosystèmes aux changements climatiques et pour absorber du carbone.
Le projet de la commission ne signifie pas une forêt tout entière dédiée à la seule biodiversité et aux loisirs, il est compatible avec ceux qui pensent que la production de bois est une activité noble, et que le bois peut être une réponse moderne aux nouveaux défis de nos sociétés.
La biodiversité n’est pas un enjeu qui se limite aux seules aires protégées : elle doit être au cœur de la gestion forestière. Les bonnes pratiques sylvicoles sont connues et mises en œuvre depuis des années par des forestiers de terrain. Ces pratiques permettent non seulement d’améliorer le stockage de carbone en forêt, d’adapter la forêt à un climat qui change, de protéger les sols, d’avoir des forêts plus riches en biodiversité mais également de produire des bois de qualité pour des usages de long terme comme la construction. Enfin, certaines méthodes de gestion forestière en évitant la modification brutale des paysages, sont beaucoup mieux acceptées socialement.
Pour enfin intégrer l’ensemble de ces enjeux, nous avons besoin d’une vision fédératrice et enthousiasmante de la forêt s’appuyant sur un nouveau contrat de société entre les forestiers et les citoyens. C’est parce qu’il nous semble que les premières orientations proposées par la commission européenne vont dans ce sens que nous les soutenons et que nous appelons à la concrétisation d’une stratégie européenne ambitieuse pour les forêts.
Le lobbying d’Alliance Forêts Bois auprès du Ministère de l’Agriculture
Pour chercher à en savoir plus, je m’en vais faire un tour sur la page LinkedIn d’Alliance Forêts Bois. Et j’y reste scotché. Alliance vient de publier ceci :
Cette photo montre le directeur d’Alliance Forêts Bois, Stéphane Viéban, tout sourire, avec le Ministre de l’Agriculture, en plein sur une coupe rase.
Un moment d’égarement du Ministre ? Pas du tout : en creusant, je découvre que les liens entre Alliance Forêts Bois et le Ministère de l’Agriculture sont étroits. Pas étonnant, en réalité, vu la taille de la coopérative : elle est un acteur incontournable de la filière. Mais Alliance semble parvenir à modifier les politiques publiques. « La coopérative est une force pour se faire entendre au niveau national, notamment dans les Ministères et là où les lois sont votées » : voilà ce qu’explique Edouard Bentéjac, le Président d’Alliance Forêts Bois lors de l’Assemblée Générale de la section Landes-Pyrénées du 23 mars 2023. Et Stéphane Viéban, le directeur d’Alliance, va même plus loin dans son e-mail mensuel envoyé aux salariés de l’entreprise : « J’ai pu échanger avec le Ministre de l’Agriculture dans son bureau à Paris. » C’est clair : Alliance fait du lobbying pour modifier les politiques publiques en sa faveur.
Politiques de plantations d’arbres : le jackpot pour Alliance Forêts Bois
Je me souviens que j’ai entendu dire que le plan de relance forestier, sur lequel j’ai enquêté il y a maintenant 2 ans, avait été taillé sur mesure pour les coopératives. Un lien avec Alliance, peut-être ?
Ce plan de relance avait été présenté par le gouvernement comme un plan d’adaptation des forêts au changement climatique, qui devait permettre de planter 50 millions d’arbres en 2 ans. Mais notre enquête avait révélé que 87% des projets financés faisaient intervenir des coupes rases, et que le premier arbre planté était le douglas, un résineux adapté à aux usages industriels. Ça sent Alliance, tout ça.
Mais je suppose qu’Alliance n’avouera jamais la chose publiquement. Alors pour en avoir le cœur net, je décide de prendre l’information à la source : à l’Assemblée Générale de la coopérative.
Pour éviter des problèmes juridiques aux personnes impliquées, je ne raconterai pas en détail cette phase de l’enquête. Disons juste que nous étions présents à l’Assemblée Générale d’Alliance et que nous savons très précisément ce qui y a été dit.
Bingo ! Dès les premières minutes, Stéphane Viéban, le directeur général d’Alliance, évoque le plan de relance : « On a vraiment fait ça ensemble avec l’administration, que ce soit au niveau régional ou au niveau national. On avait proposé cette opportunité (ndlr : celle des Appels à Manifestation d’Interêt pour le plan de relance) à Sylvain Réallon bien avant un certain nombre de choses, la relation a été très bonne. » Or Sylvain Réallon est le sous-directeur Filières Forêt-Bois du Ministère de l’Agriculture, en charge du projet. Cela signifie que oui, Alliance Forêts Bois a influencé les critères du plan de relance. La coopérative semble même en avoir été à l’origine.
Puis c’est l’information phare qui tombe : Stéphane Viéban explique qu’en 2021, Alliance Forêts Bois a touché 8,9 millions d’Euros à l’aide du plan de relance, et que la coopérative compte en toucher encore 6 millions supplémentaires en 2022, soit un total de 14,9M€. Si on résume : Alliance a influencé une politique publique qui a permis de financer des coupes rases dans 87% des cas, et qui lui a rapporté 14,9 millions d’Euros.
Quelques mois plus tard, Emmanuel Macron, le Président de la République, annonce un nouveau plan pour les forêts. La France va planter 1 milliard d’arbres en 10 ans. Sortons les calculettes : si le plan de plantation de 50 millions d’arbres rapporte 14,9M€ à Alliance, la plantation d’un milliard d’arbres dans les mêmes conditions lui rapporterait… 300M€. Le jackpot.
Alliance Forêts Bois sous perfusion de subventions
Sydney, une consultante qui est en train de rédiger pour Canopée un rapport sur le Label Bas Carbone, apprend que je travaille sur Alliance. Elle m’appelle et m’explique :
« Alliance est en train de détourner le Label Bas Carbone pour planter des résineux, il faut que tu en parles. En principe, ce label doit permettre de certifier des projets de réduction d’émissions de carbone. Mais une grande majorité des projets est portée par des acteurs privés, parmi lesquels on retrouve Alliance Forêts Bois, qui porte 32 projets. Et devine quoi : 67% des projets comprennent des plantations de résineux. »
Le pire dans cette histoire, c’est qu’Alliance parvient à faire croire aux grandes entreprises qui veulent verdir leurs pratiques que leurs plantations sont bénéfiques pour l’environnement. Orange s’est par exemple associé à Alliance pour leur “compenser ses émissions incompressibles” :
Un informateur anonyme qui travaille pour Alliance Forêts Bois me fait même parvenir un document interne à la coopérative : c’est la liste des entreprises qui travaillent sur le Label Bas Carbone avec Alliance :
Parmi elles : Engie, Air France, Bolloré, Louis Vuitton, Air Corsica, JC Decaux, Netto, Axa, Toyota…
C’est le moment de ressortir le “Manifeste en faveur des forêts de plantation” d’Alliance : souvenez-vous, ce document dans lequel Alliance assumait sa stratégie avant de préférer se cacher derrière des éléments de comm’. Page 6 : « Il faut mettre en place de nouveaux dispositifs de financement (Fonds carbone, reboisements compensateurs…) ciblés vers les forêts de plantation. » C’est écrit noir sur blanc : Alliance essaye de capter des fonds carbone pour perpétuer son modèle sylvicole.
Cela signifie qu’Alliance Forêts Bois est en réalité sous perfusion de subventions publiques. Non seulement la coopérative capte l’argent de politiques publiques dont elle a elle-même été à l’origine – elle a développé de nombreuses tentacules pour s’accaparer tous types de fonds publics sous couvert d’actions en faveur du climat.
Quand Alliance flirte avec l’illégalité
Mais pour terminer le récit des grandes lignes de cette enquête, je dois absolument vous parler du dernier levier qu’Alliance Forêts Bois a développé pour capter des subventions : Plantons pour l’Avenir.
Pour commencer, il suffit de faire un tour sur le site internet du fonds. Sur sa page d’accueil, Plantons pour l’Avenir indique être un fonds de dotation “privé, apolitique et indépendant”. Pourtant, si l’on clique sur l’onglet “Le Fonds”, on s’aperçoit que le Président de Plantons pour l’Avenir n’est autre qu’Edouard Bentéjac, qui est aussi le Président d’Alliance Forêts Bois. En fait, sur 7 administrateurs du fonds, 4 sont directement liés à Alliance Forêts Bois.
Comme d’habitude, il suffit de remonter un peu dans les communications plus anciennes d’Alliance pour trouver de petites pépites : dans un numéro d’Alliance-infos de 2014, l’ancien président de la coopérative expliquait clairement : « Nous avons créé cette année le premier fonds de dotation destiné au reboisement des forêts françaises : Plantons pour l’Avenir. »
Mais jusque-là, rien de bien scandaleux. Alliance a créé un fonds de dotation et continue de le diriger.
Regardons cependant de plus près ce que fait ce fonds. Il permet de récolter des dons d’entreprises privées, pour “planter pour l’avenir”. Ces dons sont ensuite défiscalisés à hauteur de 60%,, car ils s’adressent à un fonds de dotation. Je commence à me douter que quelque chose ne tourne pas rond, mais je n’ai pas encore la clef de l’affaire… je décide donc d’aller visiter une parcelle sur laquelle Plantons pour l’Avenir a financé des travaux. Ce n’est pas bien difficile : le site du fonds de dotation met en avant ses plus fières réalisations. J’en choisis une : en route pour la Dordogne !
Arrivé à Saint-Maime-de-Peyrerol, entre de jolies collines verdoyantes, je rencontre Vincent, de l’association SOS Forêt Dordogne. Vincent et son association remuent ciel et terre depuis plusieurs mois pour sensibiliser les maires, élus régionaux et le préfet de Dordogne pour encadrer les coupes rases qui se multiplient.
« Tu vas voir, ils ont rasé 10 hectares de forêt feuillue, surtout des châtaigniers en bonne santé, pour remplacer ça par une monoculture de pins maritimes ! »
Et en effet : nous arrivons sur la parcelle – aucun arbre n’a survécu à la coupe avant cette “plantation pour l’avenir”.
Je demande :
« Et ça, Vincent, tu savais que c’est Plantons pour l’Avenir ?
– C’est toi qui m’en as informé. Moi, je pensais que c’était Alliance Forêts Bois.
– Mais bien sûr ! C’est Alliance Forêts Bois qui réalise les travaux financés par Plantons pour l’Avenir. C’est comme ça que l’argent qui est versé au fonds qu’ils ont créé finit par arriver dans leurs poches ! »
J’appelle deux salariés d’Alliance en me faisant passer pour un propriétaire forestier souhaitant faire financer des travaux par Plantons pour l’Avenir : j’apprends que 60 à 80% des travaux financés par Plantons pour l’Avenir se font chez des adhérents Alliance.
J’essaye de résumer tout ça dans un schéma, lorsque je m’aperçois de la présence, parmi la liste des mécènes de Plantons pour l’Avenir, de la pépinière Forelite… filiale d’Alliance !
Cela signifie qu’Alliance donne de l’argent à un fonds de dotation qu’elle a créé et qu’elle dirige, que ce don est remboursé par les impôts, et qu’il permet de financer des travaux effectués… par Alliance elle-même. Je ne m’y connais pas assez en droit fiscal, mais ça ressemble tout bonnement à de l’escroquerie. J’en informe immédiatement la Direction Générale des Finances Publiques.
Les découvertes que j’ai faites au cours de cette enquête sont alarmantes. La coopérative Alliance Forêts Bois, qui a construit son modèle économique sur les économies d’échelle et un itinéraire sylvicole ultra-simplifié, gagne constamment en importance. Les coupes que l’on me signale régulièrement sont loin d’être des cas isolés. La coopérative multiplie les coupes rases de forêts feuillues et diversifiées pour les remplacer par des plantations peu diversifiées – tout ça pour alimenter l’appétit toujours grandissant des industriels, selon une stratégie bien pensée. Elle parvient à capter des fonds publics et privés – et survit ainsi sous perfusion de subventions… ce qui signifie que ce sont nos impôts qui financent ce système.
C’est le moment de lancer une série d’actions et de recommandations pour mettre fin à ce système et mieux protéger nos forêts.
Action !
Les 7 juin et 7 juillet 2023, Canopée a lancé deux actions pour attirer l’attention du public et des médias sur Alliance Forêts Bois.
Nous avons commencé par alerter à notre façon les entreprises qui financent des projets menés par Alliance Forêts Bois, lors d’une conférence donnée à Sciences Po, et dans laquelle un représentant d’Alliance Forêts Bois intervenait :
Après plusieurs demandes de débat refusées par Alliance Forêts Bois, nous avons pris l’initiative de rendre une visite surprise au siège de la coopérative, et d’organiser directement une table ronde devant le siège social d’Alliance. Nous en avons profité pour déposer devant le siège le rouleau landais abandonné sur la parcelle forestière détruite à Lésigny, dans la Vienne :
La réponse d’Alliance Forêts Bois
Suite à la publication de notre enquête, la coopérative a transmis une première note de réaction à la filière forêt bois. Alliance se concentre sur une étude de cas : la forêt rasée dans la Vienne. Alliance prétend notamment ne pas avoir coupé aux abords de la mare : « La mare qu’on voit se situe dans une prairie délaissée où nous n’avons ni coupé, ni reboisé. Nous l’avons laissée telle quelle (respect du milieu humide). »
Pourtant, après vérification sur le terrain, des arbres ont bien été aux abords immédiats de la zone humide, la mettant en péril :
Alliance Forêts Bois a alors changé de stratégie, affirmant que les arbres devaient être coupés pour « améliorer l’ensoleillement du milieu« , et publié un long PDF de réponse à propos de la coupe.
La réponse d’Alliance Forêts Bois, qui vise à décrédibiliser le travail de Canopée, confirme en réalité de nombreuses critiques que nous formulons :
✅ Il s’agit bien d’une coupe rase de 20ha (16,55 + 3,11 ha). En 2 fois (2020 et 2022).
✅ Il y a bien eu utilisation d’un rouleau landais donc dégradation des sols.
✅ Il s’agit bien d’un reboisement en monoculture de pin maritime. Ou presque: 3 hectares de cèdre ont été plantés, ce qui correspond à une très faible diversification. Tous les chênes et autres feuillus présents sur ces parcelles ont été rasés, alors qu’ils auraient pu être maintenus pour la diversité ou comme arbres habitats. Bilan : si l’on prend à la lettre les chiffres d’Alliance, on passe de 6 à 7 hectares de résineux purs (parcelles 6, 10 et moitié de la 7) à 20 hectares de résineux purs.
✅ Après avoir nié avoir coupé des arbres autour de la mare, Alliance change de version et explique maintenant qu’il fallait la mettre en lumière pour la sauver. La zone humide autour a été reboisée a 100% en pin maritime. L’Office Français pour la Biodiversité a été alerté par Canopée, s’est rendu sur place, et confirme qu’il s’agit d’un site intéressant.
Ce document nous apprend par ailleurs que ce projet a été financé par le plan de relance. Pourtant, ces fonds publics ne peuvent être utilisés que pour financer des travaux dans les forêts dégradées, dépérissantes ou pauvres, ce qui ne semble pas être le cas ici, selon les informations mises en avant par Alliance Forêts Bois.
Rejoignez-nous pour poursuivre la campagne et interpeller les entreprises qui financent Alliance Forêts Bois