Points de vue
TRIBUNE | « La restauration écologique des forêts doit être un pilier de notre politique d’adaptation »

Cette tribune a été publiée dans le journal Les Échos, le mardi 20 mai 2025.
Nos forêts subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique. Pourtant, la politique publique actuelle, à la fois coûteuse et inefficace, continue de s’appuyer sur des pratiques dépassées.
La quasi-totalité (95 %) des projets financés dans le cadre du programme de « plantation d’un milliard d’arbres » consistent en des plantations en plein, c’est-à-dire réalisées après une coupe rase de l’ensemble d’une parcelle 1.
Or, les effets négatifs des coupes rases sur l’eau, la biodiversité et le climat sont de mieux en mieux documentés 2. Cette pratique provoque un déstockage massif du carbone contenu dans les arbres et les sols. Selon l’IGN et le FCBA 3, le plan de renouvellement pourrait ainsi générer entre 90 et 135 MtCO₂ d’émissions. Présenter ces émissions comme un « sacrifice temporaire » revient à ignorer une réalité fondamentale : plus le climat se dérègle, moins il sera possible de s’adapter.
Pire : cette stratégie est un échec. Alors que les pics de chaleur estivaux se multiplient, les coupes rases privent la forêt de son principal atout pour y résister : l’ambiance forestière, c’est-à-dire la fraîcheur naturelle créée par le couvert des arbres. Privées de cette protection et exposées en plein soleil, les jeunes plantations meurent massivement. Plutôt que de remettre en cause ce modèle, l’administration propose… de subventionner une seconde plantation en cas d’échec.
Alors que l’État cherche à faire des économies, cet entêtement interroge. Ces critiques, portées depuis plusieurs années par le Haut Conseil pour le climat, la Cour des comptes 4 ou, plus récemment, par un haut responsable de la planification écologique 1, n’ont à ce jour suscité aucun infléchissement. Bien au contraire : le gouvernement vient de décider, par décret, d’inscrire cette politique dans le Code forestier – sans évaluation environnementale, ni débat parlementaire.
Face à l’incertitude, la priorité devrait être de ne pas aggraver la situation en fragilisant nos peuplements par des interventions trop brutales et des paris risqués.
La sylviculture d’aujourd’hui doit préserver des options pour demain 5. Diversifier les peuplements est assurément le cap à suivre, en améliorant l’existant chaque fois que cela est possible, plutôt qu’en recourant à la coupe rase. En intervenant de manière plus régulière mais moins intensive, il est possible de faire évoluer la composition d’une forêt sans jamais en détruire le couvert, en s’appuyant sur la dynamique des écosystèmes en place 6, et, si besoin, par de petites plantations d’enrichissement.
Cette approche est non seulement plus efficace, mais aussi moins coûteuse. L’Allemagne l’a bien compris en mettant en place une aide forfaitaire, simple à obtenir, pour les propriétaires qui renoncent aux coupes rases abusives et s’engagent dans une sylviculture plus écologique. Résultat : 1,6 million d’hectares sont déjà concernés.
Or, alors que le budget global dédié à la forêt et à la filière bois a été quasiment divisé par deux, l’obsession pour le « plan de renouvellement » accapare les moyens au détriment d’autres priorités. Les aides aux entreprises de travaux forestiers et aux petites scieries — pourtant essentielles pour accompagner une adaptation progressive des forêts et valoriser la diversité des feuillus — sont réduites. Même les crédits destinés à la lutte contre les incendies sont en baisse.
Nous, forestiers, scientifiques, élus, acteurs économiques et associatifs, appelons les pouvoirs publics à changer de cap. Le rattachement de la politique forestière au ministère en charge de la transition écologique constitue une opportunité historique à ne pas manquer. La mobilisation transpartisane de députés envoie un signal fort, qu’il faut amplifier pour aboutir à une loi d’urgence en faveur des forêts.
Il est temps de faire de la restauration écologique de nos forêts l’un des piliers du plan national d’adaptation au changement climatique.
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Liste des premiers signataires (par ordre alphabétique)
Acteurs du monde associatif
Véronique ANDRIEUX, Directrice du WWF France
Loïc CASSET, Délégué général de Sylv’ACCTES
Claire DUMAS, Présidente de Solagro
Antoine GATET, Président de France Nature Environnement
Maud LELIÈVRE, Présidente du Comité Français de l’UICN
Christophe LÉPINE, Président de la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels
Charlotte MEYRUEIS, Directrice de Cœur de Forêt
Hannah MOWAT, Coordinatrice de Fern
Madline RUBIN, Directrice du Réseau pour les Alternatives Forestières
Evrard DE TURCKHEIM, Président de Pro Silva France
Scientifiques
Isabelle CHUINE, Directrice de Recherche au CNRS et membre de l’Académie des Sciences
Philippe CIAIS, Directeur de Recherche au CEA et membre de l’Académie des Sciences
Wolfgang CRAMER, Directeur de Recherche au CNRS et membre associé de l’Académie d’Agriculture de France
Franck GILBERT, Directeur de Recherche au CNRS et Président de la Société Française d’Écologie et d’Évolution
Jacques LASKAR, Directeur de Recherche au CNRS et membre de l’Académie des Sciences
Jonathan LENOIR, Chargé de recherche au CNRS
Jean-Louis MARTIN, Directeur de Recherche Emérite au CNRS et administrateur de la Société Française d’Ecologie et d’Evolution
Xavier MORIN, Directeur de Recherche au CNRS et Président de Canopée
Acteurs du monde économique et de la philanthropie
Laurent BOILLOT, LVMH & Comité Colbert
Barbara CHÉNOT et Bertrand CAMUS, co-Présidents de la Fondation ELZE
Franck COUTURIEUX, Fondateur du fonds de dotation Le Poids du Vivant
Frédéric FAURE, Vice-Président du Conseil d’administration de Biocoop
Antoine FIEVET, Président du groupe BEL
Hubert et Catherine GIRAUD, Fondateurs de la Fondation Concrete
Philippe GOURMAIN, Président de La Belle Forêt
Charles KLOBOUKOFF, Fondateur de Léa Nature
Alexis MARANT, Directeur délégué du fonds de dotation Yes Futur !
Philippe MAYOL, Directeur général de la Fondation Terre Solidaire
Claire NAULLEAU-SAUVÊTRE, Fondatrice de la Fondation Manthano
Marc SIMONCINI, Chef d’entreprise, fondateur de Meetic
Isabelle SUSINI, Directrice du 1% for the Planet France
Personnalités politiques
Jean-Pierre BOUQUET, Président de l’association nationale et internationale des maires et élus locaux pour le développement durable (les Eco Maires)
Michaël WEBER, Président de la fédération des Parcs naturels régionaux de France
Personnalités publiques
Yann ARTHUS BERTRAND, photographe, reporter, réalisateur
Hugo CLÉMENT, journaliste
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Consultez la liste de l’ensemble des signataires
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SOURCES
2 Voir le rapport de l’expertise collective CRREF (Coupes Rases et REnouvellement des peuplements Forestiers) en contexte de changement climatique (GIP ECOFOR, mai 2023)
3 Voir le rapport “La forêt en 2050 : projection des disponibilités en bois et des stocks et flux de carbone du secteur forestier français” (IGN/FCBA, mai 2024)
4 Le Haut conseil pour le climat estime dans son rapport annuel 2024 que “Les aides mises en œuvre sont parfois mal ciblées ou peu conditionnelles, ce qui peut conduire à des mal adaptations” et que ”les conditions d’octroi de ces aides reposaient sur des critères de diversification trop peu contraignants”. La Cour des comptes produit quant à elle une évaluation sévère du dispositif dans son rapport sur l’adaptation au changement climatique en 2024 : “Certaines interventions du fonds d’aide au renouvellement de France Relance ne répondent pas directement à des objectifs d’adaptation des forêts. En effet, d’une part, elles privilégient les peuplements à faible valeur économique non dépéris et, d’autre part, elles reposent sur des critères de diversification trop peu contraignants. Le dispositif a surtout bénéficié à la forêt privée, qui a été quasiment la seule à solliciter le volet relatif au « peuplement à faible valeur économique » du fonds d’aide au renouvellement de France Relance.”.
5 Voir le rapport “Les forêts françaises face au changement climatique” (Académie des Sciences, juin 2023)
6 Voir la motion du congrès de la Société Française d’Écologie et Évolution intitulée « Pour une politique d’adaptation des forêts hexagonales au changement climatique basée sur l’écologie forestière » (octobre 2024)
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