Analyses

Sur Le Front : la face cachée des forêts françaises 

Notre analyse et nos précisions après la diffusion du documentaire Sur le front, "la face cachée des forêts françaises", diffusé lundi 26 février sur France 5 et France.tv

Publié le Rédigé par Canopée

Pendant plus d’un an, Hugo Clément et son équipe de « Sur Le Front » nous ont suivis pour répondre à une question  : quelle est la réalité du programme de plantation d’un milliard d’arbres ?

Cet article approfondit certaines informations du documentaire et propose des réponses aux questions fréquentes.

En avril 2022, notre association a publié une enquête intitulée « Planté ! Le bilan caché du plan de relance ». Cette enquête a été la première à lancer l’alerte : plus de 85% des projets financés sont des coupes rases. Les arbres plantés sont, en large majorité, des monocultures de résineux. Le premier arbre planté est le douglas : un arbre qui n’est pas adapté à un climat qui se réchauffe. 

Il ne s’agit donc pas d’adapter la forêt au changement climatique mais aux besoins de l’industrie. 

Ce rapport révèle également l’influence des coopératives forestières dans l’élaboration de cette politique. En juillet 2023, nous avons publié une nouvelle enquête : « Le système Alliance Forêts Bois », avec un volet vidéo réalisé en partenariat avec Vincent Verzat de Partager C’est Sympa. 

En brisant l’omerta, nous nous sommes exposés  : pression sur nos financeurs, multiplication de plaintes pour nous bâillonner, accusation d’inciter à la violence. Ces tentatives ne nous ont pas freinés mais elles nous galvanisent car elles montrent que nous appuyons là où cela fait mal.  

Pour nous soutenir, voici plusieurs possibilités :

Voici également une liste de réponses aux questions fréquentes que vous vous posez et aux arguments de la filière. 

1️⃣ Couper des arbres est-il mauvais pour la forêt

Non. Il est possible de couper des arbres sans détruire la forêt.

La gestion forestière n’est pas vertueuse par principe. Si certaines formes d’exploitation peuvent avoir de lourds impacts environnementaux, notamment les coupes rases, d’autres sont plus respectueuses de l’écosystème. 

Par exemple, en conservant en permanence un couvert continu et une diversité d’arbres et en ne pratiquant que des coupes sélectives (c’est ce que l’on appelle la sylviculture mélangée à couvert continu). Il est également possible de protéger la biodiversité en laissant des arbres morts, et même des îlots de sénescence en forêt : plus de 30% de la biodiversité forestière est associée au bois mort.

Pour aller plus loin

En partenariat avec Partager C’est Sympa, nous avons produit cette vidéo pour découvrir la sylviculture mélangée à couvert continu :

2️⃣ En France, la surface de la forêt augmente : donc tout va bien ?

La surface forestière n’est pas un bon indicateur pour apprécier l’état qualitatif de la forêt française.

S’il est vrai que la surface forestière a fortement augmenté depuis le début du XXème siècle, principalement en raison de la déprise agricole, la forêt française reste relativement jeune. Plus de 79% des arbres ont moins de 100 ans. Or, une forêt jeune stocke peu de carbone et abrite une biodiversité très limitée.

Seules 15% des forêts d’intérêt communautaire sont dans un bon état de conservation écologique. 

Maintenir et, le cas échéant, restaurer un bon état de fonctionnement des écosystèmes forestiers est un objectif plus structurant qu’augmenter la surface forestière.

Pour aller plus loin 

Nous avons coordonné et publié dans Le Monde une tribune intitulée « Politique forestière : s’appuyer sur les écosystèmes existants plutôt que raser et replanter » qui explique nos propositions. 

Pour alerter sur l’absence de critères relatifs à la biodiversité dans les documents de gestion, nous avons fait monter à Paris les animaux de la forêt (une action entrevue dans le documentaire Sur Le Front) : « Nos impôts financent la destruction de leurs forêts » 

3️⃣ En France, nous ne récoltons que 60% de l’accroissement biologique, donc tout va bien ?

Vrai… mais heureusement ! Les forêts sont jeunes, donc il est indispensable de les laisser grandir en ne récoltant qu’une partie de la croissance.

Cet argument est souvent utilisé par la filière forêt-bois pour justifier une hausse de la récolte de bois. Cela est inexact et dangereux.

La forêt française est globalement jeune et donc sous-capitalisée. Cette faible maturité des forêts se reflète dans le volume de bois à l’hectare qui est en moyenne de 173 m³. Il est plus élevé en forêt publique (198 m³/ha) qu’en forêt privée (166 m³/ha). Il dépasse les 200 m³/ha dans les régions de l’Est de la France. À titre de comparaison, les forêts matures ont des volumes à l’hectare qui s’échelonnent entre 450 et 500 m³/ha et qui peuvent être encore supérieurs pour certaines forêts de montagne.

La forêt française est donc encore très éloignée de son optimum de stockage de carbone. Elle constitue donc un puits de carbone.

Pour aller plus loin

Ces chiffres sont à retrouver dans le memento de l’Inventaire Forestier National (2023). 

Nous avons produit un rapport « Laisser vieillir les arbres : une stratégie efficace pour le climat ».

4️⃣ Si on laisse vieillir les arbres, ils risquent de dépérir ?

Pas si simple. Les vieux arbres sont parfois plus résistants et résilients que les jeunes.

La notion de vieil arbre est très relative. Sous nos latitudes, un vieux chêne peut vivre plusieurs siècles en pleine forme. Mais, comme tout être vivant, à un moment, il meurt. Il faut distinguer la maturité écologique et la maturité sylvicole : en forêt, les arbres sont coupés bien avant qu’ils ne commencent à entrer dans une phase de sénescence et c’est tant mieux. 

Plus un arbre grandit, plus il va stocker du carbone. Remplacer une forêt qui commence à avoir des gros bois par une jeune plantation au prétexte que les « jeunes arbres sont une meilleure pompe à carbone » est une erreur, car non seulement cela entraine un déstockage de carbone, mais aussi parce que les gros arbres continuent d’absorber du carbone. Mieux, plus un arbre est gros, plus son bois pourra être valorisé pour des produits à longue durée de vie comme la charpente. Ainsi, il faut 40-50 ans pour produire 1m3 de douglas. Si cet arbre n’est pas coupé, il ne faudra plus que 20-25 ans pour produire un deuxième m3 puis 10-15 ans pour le troisième m3.

Les études scientifiques ne montrent pas que les gros bois (diamètre > 47,5 cm) et très gros bois (diamètre > 67,5 cm) sont plus fragiles que les jeunes arbres. Au contraire, de nombreux mécanismes de résistance et résilience se renforcent avec l’âge. Par exemple, plus un pin est âgé, plus son écorce est épaisse et résistante aux incendies.  

Si les arbres sont coupés trop jeunes, la fertilité des sols s’appauvrit au fil des générations car ce n’est qu’au-delà d’un certain âge (variable selon les espèces) qu’un arbre commence à restituer au sol les éléments minéraux par sa litière et ses branches mortes. Enfin, plus une forêt est âgée, plus elle est riche en biodiversité, ce qui est un facteur clé de résilience : par exemple, certaines chauves-souris peuvent s’installer dans les vieux arbres et éviter une prolifération de chenilles en s’en nourrissant.

Pour aller plus loin 

Nous avons produit un rapport : « Laisser vieillir les arbres : une stratégie efficace pour le climat ». 

5️⃣ Si l’on ne gère pas la forêt, elle va disparaitre à cause des changements climatiques ?

La forêt n’a pas besoin de nous pour vivre. La gestion forestière peut améliorer l’état d’une forêt mais aussi le dégrader.

Les changements climatiques entrainent une multiplication des aléas comme les sécheresses, les tempêtes, les gelées tardives, les épisodes de grêle ou encore l’accélération des cycles de reproduction de certains insectes ravageurs. L’ensemble de ces dérèglements fragilise la forêt mais ne la menace pas de disparition à grande échelle (à l’exception de certaines zones qui pourraient devenir des landes si le changement climatique était trop important). Par contre, la forêt pourrait ne pas rendre les mêmes services, notamment en termes de production de bois. La forêt n’a pas besoin de l’homme mais nous avons besoin d’elle.

La gestion forestière peut aider à réduire les facteurs de vulnérabilité des forêts mais elle peut aussi les accroitre avec de mauvaises décisions. Par exemple, en coupant par anticipation des arbres au prétexte qu’ils vont dépérir avec les changements climatiques. L’utilisation de cartes d’évolution des aires de distribution des espèces en fonction de l’intensité du changement climatique fait l’objet d’une vive controverse scientifique. Ces cartes sont basées sur un nombre très limité de paramètres, ramenés à des moyennes qui ne prennent pas en compte la diversité au sein des espèces et surtout les interactions entre espèces. Des facteurs comme le microclimat, la pente ou la nature des sols jouent un rôle très important. Au sein d’une même espèce, il existe une grande variabilité génétique et phénotypique. Ça n’est pas tant le principe de ces cartes qui est critiqué que l’utilisation qui en est faite pour conclure, par exemple, que le hêtre est condamné à disparaitre en France. Il existe pourtant des peuplements en bonne santé dans des contextes inattendus : Sainte Beaume (Bouche du Rhones), Massanne (Pyrénées orientales) ou la vallée du Ciron (Gironde).

Pour aller plus loin 

Pour alerter sur l’absence de critères relatifs à la biodiversité dans les documents de gestion, nous avons fait monter à Paris les animaux de la forêt (une action entrevue dans le documentaire Sur Le Front): « Nos impôts financent la destruction de leurs forêts » 

Pour en savoir plus sur la résistance des hêtres dans la vallée du Ciron, nous avons interrogé le chercheur Alexis Ducousso (en deuxième partie de cette vidéo) :

6️⃣ Il faut planter des arbres pour adapter la forêt au changement climatique

En forêt, la plantation d’arbre est et doit rester une exception.

Au prétexte que les arbres actuels ne seraient pas adaptés au changement climatique, le gouvernement s’est lancé dans un vaste programme de plantation d’un milliard d’arbres. 

Comme le montre notre enquête sur le plan de relance, cette politique s’est soldée par une multiplication des coupes rases. De nombreuses forêts bien portantes ont ainsi été rasées au prétexte qu’elles seraient « pauvres » ou « vulnérables » et remplacées par des plantations, le plus souvent peu diversifiées. Ce qui est particulièrement grave est que cette politique est conduite au prétexte d’adapter les forêts au changement climatique, alors qu’elle vise avant tout à adapter la forêt aux besoins de l’industrie en coupant les arbres plus jeunes et en les remplaçant par des résineux.

Le premier arbre planté dans le cadre du plan de relance est le douglas. Alors qu’il est sensible à la chaleur, il a été massivement planté en plaine, en dessous de 500 mètres d’altitude. Il est donc fort probable qu’il dépérisse comme dépérissent aujourd’hui les plantations d’épicéas, des arbres de montagne, qui ont été massivement plantées en plaine. 

Ce que montre le reportage, avec l’exemple de Verdun, c’est que ces jeunes plantations sont fragiles. De l’aveu même du Ministre de l’Agriculture : « 2022 est l’année la pire au niveau de la reprise de plantations : 38 % de plantations affichent un taux de reprise inférieur à 80%, devant l’année 2020 ».

Aujourd’hui, nous estimons que le plus important pour protéger les forêts est de maintenir l’ambiance forestière avec un couvert continu d’arbres. 

Dans une forêt bien gérée, la coupe des plus grands arbres apporte de la lumière au sol, ce qui permet aux jeunes pousses, et aux arbres du sous-bois, de grandir. Nul besoin de planter des arbres : c’est ce que l’on appelle la régénération naturelle. Cette méthode est pratiquée sur plus de 80% de la surface forestière gérée. 

Condamner les essences locales au prétexte qu’elles ne seraient pas adaptées à un climat qui se réchauffe est une erreur : elles disposent d’un potentiel d’adaptation basé sur la plasticité phénotypique et, sans doute, de mécanismes d’épigénétiques. 

Une possibilité, en cas de doute sur la viabilité de cette régénération naturelle, est de réaliser des plantations en enrichissement, dans des petites trouées, pour que les jeunes arbres soient protégés des coups de chaud par l’ambiance forestière. 

Comme le préconise la Société Botanique de France, l’introduction d’essences exotiques dont les effets sur les écosystèmes sont insuffisamment évalués est à proscrire. 

Au final, plutôt que de se focaliser sur un nombre d’arbres plantés, Canopée préconise de financer des projets permettant d’améliorer la résistance et la résilience des forêts existantes par des travaux ciblés qui peuvent inclure des plantations d’enrichissements. 

Les plantations en plein après coupe rase doivent être réservées à des situations sanitaires exceptionnelles. 

Pour aller plus loin 

Nous avons produit un rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance ». 

Vous pouvez également découvrir notre enquête sur la plus grande coopérative forestière française, Alliance Forêts Bois, qui a façonné ce plan à son avantage : lire le rapport ou voir la vidéo réalisée en partenariat avec Partager C’est Sympa.

Vous pouvez aussi retrouver notre visite surprise au siège d’Alliance Forêts Bois :

7️⃣ Les coupes rases ne représentent que 0,5% de la surface forestière et cette surface n’augmente pas

Pas si simple. Pour discuter ce chiffre, il faut le recontextualiser.

Ce chiffre est une interprétation des données de l’Inventaire Forestier National qui explique, dans son memento (édition 2023) : « Les coupes fortes, d’au moins 50 % du couvert, concernent ainsi en moyenne 85 000 ha par an, soit 0,5 % de la forêt de production ». Pour discuter ce chiffre, il faut le recontextualiser. 

En 2022, la surface de la forêt française est de 17,3 millions d’hectares d’après l’IFN. Ce chiffre de 0,5% est le rapport avec la surface de coupe forte (85 000 ha) annuelle ce qui soulève plusieurs problèmes : 

  • L’ensemble de la forêt française est considéré comme une « forêt de production » alors que seule la moitié de cette surface fait l’objet d’une exploitation pour diverses raisons (morcellement, inaccessibilité, protection).
  • Ce pourcentage compare une donnée annuelle, la surface de forêt exploitée en coupe forte chaque année, avec une donnée statique (ou presque), la surface. Il serait plus pertinent de considérer la surface de forêt exploitée chaque année (600 000 ha), ce qui indiquerait que les coupes rases représentent 14,2% de la surface exploitée chaque année. Un choix d’autant plus curieux que, dans le paragraphe suivant, l’IFN calcule bien la proportion en volume des bois issus de coupes fortes (51%) par rapport au prélèvement annuel et non pas par rapport au volume de bois sur pied.
  • Un pourcentage annuel, sous réserve qu’il soit correctement calculé, ne permet pas de rendre visible les effets cumulatifs des coupes rases. Les impacts négatifs des coupes rases ne disparaissent pas au bout d’un an : par exemple, les effets du tassement des sols par le passage des engins ont des conséquences sur plusieurs dizaines, voire centaines d’années. Sur une durée de 40 ans (hypothèse très conservatrice qui correspond au terme d’exploitation du pin maritime), cela signifie qu’au moins 3,4 millions d’hectares des forêts ont subi une coupe forte. 

 

L’autre argument souvent avancé est que la surface de coupe rase n’augmente pas depuis plus de 30 ans. L’inventaire Forestier National explique ainsi dans son mémento (2023) : « La surface concernée par des coupes de plus de 90 % du couvert apparaît relativement stable dans le temps (environ 65 000 ha/an) mis à part durant la période 2009-2016 qui a suivi la tempête Klaus où l’on a atteint 90 000 ha/an. ». Un argument lui aussi à nuancer et à recontextualiser : 

  • Les méthodes d’évaluation des coupes en forêt sont en constante évolution et rendent difficile des comparaisons. De 1958 à 2004, l’Inventaire Forestier National inventorie précisément une dizaine de département chaque année. Les comparaisons d’inventaires deviennent possibles à partir de 1980, par l’analyse de photographies aériennes successives complétées par des visites de terrain. Les coupes rases sont alors clairement distinguées des autres coupes définitives (celles suivies de régénération naturelle ou les coupes de taillis). Donnée primordiale, la taille de la coupe est disponible. Selon un article de la revue forestière française analysant les données de l’IFN (Barthod et al., 1999), les coupes rases (au sens strict et hors défrichement) ont été estimées à 31 100 ha/an sur la période 1980-1988, sur une surface moyenne de 3,2 ha. Au total, les coupes rases ajoutées aux coupes fortes (éclaircies fortes, coupes préparatoires à la régénération, coupes de type taillis-sous-futaie) ont concerné une superficie de 89 400 ha/an (hors défrichement). Depuis 2005, l’inventaire est réalisé annuellement sur l’ensemble du territoire de façon statistique, par placette de 0,2 ha sur le terrain et sur photographie aérienne. La nomenclature utilisée pour distinguer les coupes ne tient plus compte que du pourcentage de couvert ôté par la coupe, et non plus de de critères sylvicoles permettant d’identifier les coupes rases. Ces coupes comprennent donc de façon indissociée les coupes de renouvellement (d’ensemencement, définitive ou rase), les coupes de taillis et les coupes sanitaires (liées à des dépérissements, des incendies, des pathogènes, etc.) De plus, leur étendue n’étant pas caractérisée, il n’est plus possible de connaître leur surface. Dans son mémento (2023), l’Inventaire Forestier National n’utilise pas le mot « coupe rase » mais distingue au sein des « coupes fortes », celles supprimant plus de 50% des arbres et celles supprimant plus de 90% des arbres. 
  • Les évolutions les plus récentes ne sont pas encore perceptibles. L’inventaire forestier est réalisé à partir de mesures effectuées sur 70 000 placettes fixes, chacune étant visitée tous les 5 ans. En 2022, seules 14 000 placettes ont ainsi été relevées, et permettant la mise à jour de la période 2018-2022. Ainsi, les coupes de l’année 2023 ne seront pas pleinement visibles sur l’ensemble des placettes avant 2028. Or, depuis 2021, le gouvernement s’est lancé dans un programme massif de plantation d’arbres associés à des coupes rases : d’après notre enquête, 87% des projets financés par le plan de relance sont des coupes rases suivies de plantations – soit une surface d’environ 20 000 hectares / an de coupes rases. Pire, dans les prochaines années, faute de critères plus robustes, ce sont environ 66% des projets financés par France 20302 qui pourraient être concernés par du renouvellement forestier « en plein », c’est-à-dire après avoir préalablement abattu l’ensemble des arbres présents sur une même parcelle. Cela représente une surface de 665 000 hectares sur dix ans soit 66 500 hectares / an.  
  • La surface de coupe rase varie en fonction du type de forêts et des régions. Comme le constate l’expertise CRREF, les coupes rases ont diminué en forêt publique mais augmenté en forêts privées. De plus, elles sont très variables selon les régions :  si l’on ramène la surface des coupes à la surface forestière régionale, les coupes ont été les plus fortes en Limousin, représentant 1.13% de la surface boisée, puis en Aquitaine avec 0.95%, et dans les Pays de Loire avec 0.49%. A contrario, elles ont été les moins fortes en Alsace (0.12%) et en Languedoc-Roussillon (0.13%). 

Pour aller plus loin 

En 2020, dans le Morvan, nous avons lancé une campagne nationale contre les coupes rases qui a été suivie depuis par de nombreuses actions à découvrir sur notre chaine YouTube.

8️⃣ « En France, l’exploitation forestière est très bien encadrée »

Non. Le code forestier n’encadre pas les coupes rases et n’est pas assez prescriptif pour éviter une dégradation de la biodiversité en forêt.

Le code forestier s’est historiquement construit sur une vision productiviste de la forêt en termes de surface plutôt qu’en terme de qualité. Par exemple, l’article 124-6 du code forestier est souvent mis en avant par la filière comme une réponse aux critiques sur les coupes rases en expliquant que le propriétaire a 5 années après une coupe pour reconstituer un peuplement. Sauf que raser une forêt semi-naturelle de feuillus et la remplacer par une monoculture de résineux a de lourds impacts environnementaux : la forêt ne se réduit pas à une surface ou à un nombre d’arbres plantés. 

Ces dernières années, des objectifs relatifs à la préservation de la diversité biologique, du puits de carbone ou plus récemment de la protection des sols ont été introduits dans les articles généraux du code forestier, mais ne sont pas détaillés dans leur mise en œuvre avec des articles plus précis. 

Curiosité du code forestier français, la notion de coupe rase n’est pas définie alors que l’article L124-6 se propose de l’encadrer. Plus généralement, les documents qui encadrent la gestion forestière ne comportent aucun volet permettant de s’assurer de la non-régression de la biodiversité.  

Le code forestier n’évalue pas les impacts des différents pratiques et ne les distingue pas : les propriétaires forestiers bénéficient de la même présomption de gestion durable et donc des mêmes avantages fiscaux prévus par le code forestier alors que certaines pratiques sont plus favorables que d’autres pour la biodiversité, la régulation de l’eau ou encore le stockage de carbone. 

En 2021, la filière s’est engagée à travers sa feuille de route sur l’adaptation des forêts au changement climatique à  « Intégrer les critères de diversification, de préservation du capital sol ou d’autres critères de préservation de services écosystémiques (dont eau et biodiversité) dans les documents encadrant la gestion forestière dans les forêts publiques et privées ». C’est d’ailleurs cet engagement que la France a mis en avant auprès de la commission européenne pour bénéficier des aides européennes du plan de relance. 

En 2024, cet engagement n’a pas été tenu. La révision de l’ensemble des schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS), un document qui encadre les plans de gestion en forêt privée, est en cours de finalisation. Neuf SRGS ont été validés en décembre 2023. Aucun n’intègre de critères, précis et prescriptif, permettant de protéger les sols et la biodiversité. 

Fin 2023, la Stratégie Nationale Biodiversité prévoit simplement « d’encourager l’utilisation de l’Indice de biodiversité potentielle (IBP) » et propose « d’expérimenter dans la perspective de sa généralisation » « l’ajout d’une annexe cartographique aux plans simples de gestion, identifiant les éléments d’intérêt écologique à préserver » (mesure 22, action 4, page 126).

Pour remédier à cette situation, Canopée porte dans le débat public et auprès des parlementaires des propositions : deux projets de loi ont ainsi été déposés à l’Assemblée nationale. Mais, sous la pression de la filière, ils pourraient ne pas être mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. 

9️⃣ Faut-il boycotter le bois énergie ?

Non. Mais il faut mieux l’encadrer, arbitrer entre les projets et usages existants et ne pas en développer de nouveaux (biocarburants, pyrogazéification…)

Le bois énergie représente 35% des énergies renouvelables en France. Son utilisation actuelle et son développement possible pour répondre à l’enjeu de la transition énergétique fait l’objet d’une controverse croissante au sein de la communauté scientifique et fait l’objet de débats politiques intenses. 
 

Le bois énergie : un gisement limité et en compétition avec d’autres usages  

Avec 68% du bois récolté qui part en bois énergie, la France est le pays européen dans lequel la part de la récolte de bois pour l’énergie est la plus forte et la part vers des produits à longue durée de vie (>10 ans) est la plus faible.  

Alors que le principe de hiérarchie des usages devrait être un objectif des politiques publiques, la tendance actuelle est contraire. Depuis 2010, les volumes de bois d’œuvre et de bois d’industrie commercialisés diminuent, tandis que ceux de bois énergie augmentent. Cette tendance s’explique en partie par une structuration de la filière bois énergie, avec un report du bois buche issu du secteur informel vers des granulés de bois commercialisés, ce qui est positif, puisque le rendement énergétique des granulés est très supérieur à celui du bois buche. Toutefois, cette tendance est aussi un signal inquiétant puisqu’elle est associée à une baisse du volume de bois d’œuvre commercialisé, ce qui indique un découplage avec la récolte de bois d’œuvre : ainsi, la multiplication de chaufferies industrielles, surdimensionnées par rapport à la ressource en bois local et au tissu d’entreprises de transformation, a attiré de nouveaux opérateurs en forêt qui ont intérêt à exploiter le bois de manière plus rentable, plus intensive et déconnectée des autres usages.   

Environ la moitié des soutiens publics à la filière forêts bois sont aujourd’hui orientés vers le bois énergie, ce qui entraine des distorsions de concurrence et contribue à favoriser le développement du bois énergie au détriment des produits en bois à longue durée de vie.  

Cette situation pourrait être exacerbée par le développement de nouveaux usages comme la chimie verte, la fabrication de biocarburants (comme le projet BioTJet qui prévoit la fabrication de carburants pour l’aviation à partir de bois dans les Pyrénées), ou la production d’électricité, en reconvertissant les centrales à charbon en centrale à biomasse bois. Ainsi, il n’est pas souhaitable de développer de nouveaux usages énergétiques sans constat d’une baisse équivalente des usages historiques (notamment bois buche / combustion).  

 

Le bilan carbone du bois énergie : un sujet complexe  

L’utilisation énergétique de la biomasse forestière est parfois associée au concept de neutralité carbone, parce que le facteur d’émission de gaz à effet de serre est comptabilisé comme nul. Pour autant, comme le rappelle le CITEPA : « ce facteur ne signifie pas que l’usage de la biomasse est neutre en carbone par principe, mais que son usage est favorisé en considérant qu’il s’agit d’une ressource renouvelable, à priori renouvelée ».   

Si les émissions de CO2 associées à la combustion de biomasse forestière sont considérées comme nulles, c’est par choix d’une convention comptable et non en raison d’une réalité physique.  En effet, comme l’explique le CITEPA, conformément aux lignes directrices du GIEC, ces émissions sont comptabilisées, en amont, dès la récolte de bois, dans le secteur UTCAF (Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie). Si ces émissions étaient également comptabilisées, en aval, au moment de la combustion, elles seraient comptabilisées deux fois.  Cette convention comptable est source d’une certaine confusion dans le débat public car elle est utilisée par certains industriels pour prétendre que brûler du bois est neutre pour le climat. Non seulement les émissions de CO2 associées à la combustion de biomasse forestière ne sont pas physiquement nulles mais elles sont supérieures à beaucoup d’autres combustibles à énergie produite équivalente. Ces dernières années, de nombreuses critiques ont été émises à ce sujet par le monde académique et ont fait l’objet de publications détaillées dans des revues scientifiques de référence.

Il est également souvent avancé que cette neutralité carbone du bois serait justifiée par un équilibre entre les émissions de CO2 engendrées par la combustion du bois et les quantités de CO2 absorbées lors de la croissance des arbres. Cette hypothèse est insatisfaisante car elle ne prend pas en compte le délai entre les émissions de combustion immédiates et le temps long de croissance des arbres3. Or, l’accumulation de CO2, d’origine fossile ou biogénique (il s’agit de la même molécule) dans l’atmosphère accroit maintenant le changement climatique et augmente le risque de franchir des seuils d’emballement climatique.   

Selon le type de bois utilisé, le type de forêts et la méthode d’exploitation, cette dette carbone peut-être de l’ordre de quelques années (éclaircie modérée dans futaie irrégulière à son capital d’équilibre) à plusieurs dizaines d’années (coupe rase d’une forêt riche en carbone). 

La durée de la dette carbone n’est pas le seul critère à prendre en compte pour évaluer le bilan carbone du bois énergie. Les effets de substitution doivent être considérés en comparant les alternatives à l’utilisation de biomasse forestière. La complexité étant que ces effets de substitution sont évolutifs dans le temps (ils dépendent par exemple du mix énergétique et des alternatives existantes à un moment donné), dans l’espace (ils sont différents d’un territoire à l’autre, par exemple, selon la densité de scieries locales présentes) et de l’évolution de nos usages (il est difficile de parler de substitution lorsque l’usage est contestable, ex : faire voler des avions avec des biocarburants à base de bois).  

 

La récolte de bois énergie ne doit pas fragiliser davantage le puits de carbone 

Pour atteindre la neutralité carbone, la France compte sur son puits de carbone pour absorber les émissions résiduelles en 2050. Un puits de carbone plus faible obligerait à réduire encore davantage les émissions des autres secteurs (transports, agriculture, industrie…). Ainsi, la France est engagée, à travers l’article 5 de l’Accord de Paris, à conserver, et le cas échéant, renforcer le puits de carbone naturel forestier. Cet engagement se traduit au niveau européen par le règlement européen sur l’usage des terres qui fixe l’objectif pour la France d’avoir un puits de carbone pour le secteur des terres de -34 MtCO2/an en 2030. En raison de la combinaison de trois facteurs (hausse de la mortalité des arbres, baisse de la production biologique et hausse des prélèvements), le puits de carbone forestier en France est aujourd’hui en diminution. Il est donc indispensable que la récolte de bois, en général, et de bois énergie en particulier, n’entrainent pas une dégradation supplémentaire de ce puits de carbone.    

 

La juste place du bois énergie dans une politique forestière  

Il est nécessaire de renforcer l’encadrement des usages énergétiques du bois, et, de façon plus générale, de l’intégrer dans une refonte de notre politique forestière, pour l’adapter aux enjeux des urgences climatiques et de préservation de la biodiversité. 

La priorité de cette stratégie doit être d’adapter et d’améliorer la gestion des forêts existantes, en restaurant les écosystèmes, plutôt que de les raser et de replanter.  Le bois énergie y a une place mais elle doit rester limitée.    

Il existe ainsi plusieurs gisements de bois énergie, cohérents avec cette stratégie :  

  • Développer les sylvicultures compatibles avec une hiérarchisation des usages souhaités, notamment les sylvicultures mélangées à couvert continu et accompagner les peuplements vers leur capital d’équilibre. Le bois d’éclaircie, l’ouverture de cloisonnements bien réfléchis pour protéger les sols et la découpe des houppiers génèrent du bois d’industrie et du bois énergie ; 
  • Diminuer les exportations de bois ronds et augmenter le sciage des bois locaux, notamment de feuillus, permet de générer davantage de coproduits de scieries valorisables pour l’industrie ou des usages énergétiques en France ; 
  •  Faire respecter les obligations légales de débroussaillement constitue, dans certaines régions, un troisième gisement possiblement vertueux de bois énergie, s’il est mis en œuvre en ménageant la biodiversité.

En revanche, les gisements suivants doivent être mieux encadrés : 

  • Les bois issus de coupes rases (à l’exception de coupes sanitaires). De nombreuses forêts sont abusivement qualifiées de « pauvres », « vulnérables » ou « dégradées » et transformées par coupe rase suivie d’une plantation. De façon plus générale, la part de bois entiers directement utilisés pour l’énergie, estimée à environ 50% pour la production de plaquettes forestières, doit diminuer ;
  • La récolte des menus bois et des souches doit être proscrite pour éviter une dégradation de la fertilité des sols. A certaines conditions et dans certains peuplements, une récolte est possible mais ces conditions sont difficilement contrôlables : à l’inverse, maintenir le menu bois renforce toujours la résilience des forêts.

 

Aujourd’hui, il n’existe aucun label ou cahier des charges permettant de distinguer le « bon » et le « mauvais » bois énergie. 

 

Pour aller plus loin 

Nous avons publié un rapport « Bois énergie : l’équation impossible ».

En partenariat avec Partager C’est Sympa, nous avons produit cette vidéo sur le bois énergie :

 

🔟 Comment adapter la forêt au changement climatique pour continuer à produire du bois ?

Plutôt que de chercher à adapter la forêt, la priorité devrait être d’adapter les sylvicultures pour réduire les facteurs de vulnérabilité.

Dans un contexte d’incertitude, une stratégie judicieuse est d’agir en activant des options sans regret (c’est-à-dire sans risque de conduire à des déséquilibres plus importants) : par exemple, plutôt que de raser une forêt par anticipation et de replanter, il est préférable de chercher à renforcer sa résilience par des travaux moins intensifs (éclaircie, balivage, enrichissements) et peut-être plus fréquents. 

Chercher à restaurer un bon fonctionnement de l’écosystème est une stratégie efficace pour renforcer la résistance et la résilience d’une forêt. 

Aujourd’hui, nous constatons que les changements climatiques sont davantage utilisés comme un prétexte pour adapter la forêt aux besoins de l’industrie en plantant des résineux plutôt que comme une opportunité de repenser la gestion forestière et d’encourager les sylvicultures les plus vertueuses. 

 

Pour aller plus loin 

Nous avons coordonné et publié dans Le Monde une tribune intitulée « Politique forestière : s’appuyer sur les écosystèmes existants plutôt que raser et replanter » qui explique nos propositions. 

1️⃣1️⃣ Les forestiers subissent des violences à cause de Canopée ?

Faux ! Même si les coopératives forestières aimeraient le faire croire…

Ces derniers mois, les coopératives forestières communiquent sur les violences ou menaces de mort dont sont victimes les travailleurs forestiers, et tentent d’établir un lien entre ces violences et Canopée. 

Il s’agit d’une stratégie choisie par les lobbies de la filière forêt-bois pour contrer Canopée. Nous avons récemment publié une enquête sur la plus grande coopérative forestière française, Alliance Forêts Bois, et poussé pour qu’une nouvelle loi sur la forêt soit votée par les députés. La riposte des lobbies de la filière forêt-bois est de tenter de discréditer Canopée par de graves accusations. Canopée n’a rien à voir avec ces violences et a porté plainte pour diffamation.

En octobre 2023, nous avons publié un communiqué en réponse aux accusations mensongères de menace de mort de l’Union de la Coopération Forestière Française. Nous rappelons que Canopée condamne avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté les injures, les actes de vandalisme et les menaces de mort envers les acteurs de la filière forêt-bois.

 

Pour aller plus loin 

Canopée a pris position sur ce sujet en juillet 2022 dans une vidéo spécialement dédiée à ce sujet. Notre association est solidaire de toutes les personnes subissant des violences en forêt.