Communiqué de presse

Le lobbyiste en chef de la filière forêt-bois nommé délégué interministériel à la forêt et au bois

Le lobbyiste en chef de la filière forêt-bois nommé délégué interministériel à la forêt et au bois

Le lobbyiste en chef de la filière forêt-bois nommé délégué interministériel à la forêt et au bois

Publié le Rédigé par Canopée

Angers, le 11 avril 2024. Jean-Michel Servant, Président de France Bois Forêt, vient d’être nommé délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages [1]. En confiant la coordination de la politique forestière au principal lobbyiste de la filière, le gouvernement recule à nouveau sur la prise en compte des enjeux écologiques et renonce à son rôle de pilote des politiques publiques. 

Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour Canopée explique : « Cette nomination est un nouveau signal d’alerte de la mainmise de la filière sur un débat qui concerne l’ensemble de la société : l’avenir de notre forêt ». 

Depuis 2021, Jean-Michel Servant est président de l’interprofession France Bois Forêt. Cette interprofession regroupe la plupart des acteurs de la filière : très proche du syndicat des propriétaires forestiers privés, Fransylva, et de l’Union de la Coopération Forestière Française (UCFF) dont nous critiquons un certain nombre de dérives (notamment les coupes rases), Jean-Michel Servant a toujours refusé le dialogue avec notre association.  

Plus grave, lors d’une réunion organisée par le ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, le 6 mars 2024, à laquelle participait Canopée, il a pris la parole en préambule pour annoncer qu’il ne souhaitait pas rester en notre présence. Il a précisé qu’il souhaitait privilégier les échanges au sein du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB), un groupe de travail tenu sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, dont nous sommes exclus. Il a ensuite quitté la réunion et invité d’autres représentants de la filière à faire de même. Une attitude qui interroge pour quelqu’un dont la mission va être de faire du lien entre les différents ministères et de discuter avec l’ensemble des parties prenantes. 

Plutôt que d’accepter le débat, la filière s’est engagée dans une stratégie d’isolement et de décrédibilisation de notre association en essayant de nous faire porter la responsabilité d’actes isolés de dégradation d’engins forestiers, d’insultes ou de menaces de morts. Alors que nous avons expliqué avec la plus grande clarté que nous n’avions rien à voir avec ces actes et que nous les condamnions [2], l’un des motifs évoqués par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire pour nous exclure de ces groupes de travail est : « que les conditions d’un débat serein avec la filière ne nous semblent pas réunies au vu du mode d’action que vous privilégiez ». C’est donc la filière qui dicte aux ministères avec qui elle souhaite débattre ou non.  

La participation à ces groupes de travail est souvent le seul canal pour avoir accès à des informations importantes comme le bilan du volet forestier du plan de relance. Alors que Canopée a publié un rapport [3] sur le sujet et lancé l’alerte [4], nous avons été interdits de participation à la réunion de bilan officiel. Un bilan officiel qui s’est révélé pire que nos estimations avec, par exemple, 6500 hectares de forêts en zone Natura 2000 qui ont été rasés pour être replantés sans aucune étude d’impact environnemental ce qui est contraire à la directive sur la conservation des habitats naturels [5]

Si l’on peut se féliciter de la création d’un poste de délégué interministériel à la forêt et au bois, son rattachement « administratif et budgétaire » auprès du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire plutôt qu’auprès du Secrétariat National de la Planification Écologique est un signal révélateur d’un renoncement à définir une politique intégrant l’ensemble des enjeux liés à la forêt. Le fait qu’il ait également pour rôle « d’assurer la mise en œuvre effective […] de la protection des écosystèmes forestiers » interroge sur le risque de marginaliser encore davantage le ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires. 

Le 12 février 2024, France Bois Forêt a ainsi publié son scenario prospectif [6], sur la filière forêt-bois à l’horizon 2030-2050 avec l’appui du cabinet Carbone 4 de Jean-Marc Jancovici. Ce scénario qui propose une augmentation de la récolte de bois de +10 millions de m3/an fragilise davantage le puits de carbone forestier, déjà affaibli par les changements climatiques, et est incompatible avec l’objectif fixé par le règlement européen sur l’usage des terres [7]. Plus embarrassant, il a été construit en s’appuyant sur l’un des scenarii d’une étude actuellement menée par l’Inventaire forestier national qui n’a pas été publiée. À plusieurs reprises, Canopée a demandé, en vain, à avoir accès à cette étude dont la publication est régulièrement décalée. Le fait que France Forêt Bois ait pu y avoir accès, sélectionner un scenario parmi une trentaine d’autres, sans qu’il ne puisse y avoir un débat transparent et contradictoire illustre une dangereuse dérive vers l’entre-soi et l’autopilotage de la filière par elle-même. 

Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour Canopée conclut : « Face au défi du changement climatique, il n’est plus possible d’éviter un débat public, scientifique et contradictoire ni des évolutions réglementaires pour encourager une gestion forestière qui s’appuie sur les écosystèmes et la biodiversité. Nous appelons donc le gouvernement à davantage de transparence, d’ouverture et à un rééquilibrage institutionnel pour détacher la politique forestière du seul contrôle du ministère de l’Agriculture. »

Sources 

[1] Voir le décret n° 2024-312 du 5 avril 2024 instituant un délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049374018  

[2] Voir, par exemple, notre communiqué du 17 octobre 2023 : https://www.canopee.ong/le-media/points-de-vue/accusation-de-menace-de-mort-mensongere-lunion-de-la-cooperation-forestiere-francaise-franchit-la-ligne-rouge-nous-portons-plainte/ 

[3] Voir notre rapport « Planté ! Le bilan caché du plan de relance » : https://www.canopee.ong/publications/canopee-publie-le-bilan-cache-du-plan-de-relance-en-foret/  

[4] Voir l’émission « Sur le Front : la face cachée des forêts françaises » : https://www.canopee.ong/le-media/analyses/sur-le-front-la-face-cachee-des-forets-francaises/  

[5] https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/protecting-europe-s-biodiversity-natura-2000.html

[6] Communiqué de presse – 2030-2050 : quel scénario carbone pour la filière forêt-bois ? – France Bois Forêt (franceboisforet.fr) 

[7] Ce règlement fixe pour la France un objectif de –34 MtCO2/an pour le puits de carbone terrestre en 2030.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32023R0839