Analyses

Procès-baîllon : Dénoncer une coupe rase est-il un délit ?

Suite à la diffusion d’une vidéo où nous avons dénoncé une coupe rase de plus de 50 hectares, en pente, le responsable a décidé de porter plainte contre nous. Pour quelle raison ? Il nous reproche de l’avoir qualifié de “Président-gredin”.
Publié le Rédigé par Canopée

Lundi 6 mai, Canopée était au tribunal correctionnel de Bordeaux, assigné par Monsieur Christian Ribes, qui lui reproche de l’avoir qualifié de « Président-gredin ». Cette plainte fait suite à une vidéo dans laquelle nous avons dénoncé une coupe rase de 50 hectares, en pente.

Une coupe rase de 50 hectares en pente : « l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire »  

Une forêt mélangée de hêtres et de résineux, située à l’entrée de la commune de Meymac (Corrèze), a été rasée sur plus de 50 hectares. 

Une coupe rase en pente, Meymac

Une coupe rase consiste à couper la totalité des arbres d’un peuplement. Les conséquences négatives des coupes rases ont été documentées par une expertise commandée par les Ministères de l’environnement et de l’agriculture, l’expertise CRREF : diminution du stock de carbone, baisse des populations d’oiseaux forestiers, destruction du micro-climat, tassement des sols ou encore fragilisation des peuplements voisins. Ces effets néfastes sont d’autant plus importants qu’une coupe rase est grande.  

Selon l’expertise CRREF, la taille moyenne des coupes rases en France est de 4,4 hectares : la coupe rase de Meymac, qui s’étend sur plus de 50 hectares, a donc un impact particulièrement grave pour l’environnement. 

Un facteur supplémentaire aggrave encore l’impact de cette coupe : la forte pente sur laquelle se trouvait la forêt rasée. Le sol forestier mis à nu après la coupe rase est plus fortement soumis aux vents et aux pluies : le sol est peu à peu emporté, par effet de ravinement, dans le cours d’eau situé en contrebas. L’expertise CRREF décrit ce phénomène : en moyenne, après une coupe rase, le ruissellement est augmenté de 47% et le transport de sédiments de 700%.  

Ce problème est particulièrement grave sur le plateau de Millevaches : l’effet de ravinement peut favoriser la libération dans l’eau d’aluminium naturellement présent dans les sols. L’aluminium soluble est dangereux pour la santé humaine. À Peyrelevade, une commune située non loin de Meymac, les habitantes et habitants sont dans l’impossibilité de consommer l’eau du robinet à cause d’une pollution à l’aluminium résultant d’une coupe rase, comme expliqué dans ce reportage.  

Après une coupe rase, la terre est soumise à une forte érosion, provoquant davantage de ruissellements. Ce phénomène est accentué sur les versants pentus.

Canopée a commandé deux expertises complémentaires sur l’impact spécifique de la coupe rase de Meymac. La première expertise, rendue par l’expert forestier indépendant Etienne Roger, rappelle que « les chiffres montrent sans ambigüité que la coupe rase d’environ 50 hectares pratiquée à Meymac sur les pentes du Puy de la Feuillade se distingue nettement par son ampleur exceptionnelle ». Elle souligne : « La surface exceptionnelle de la coupe, la longueur de versant, les fortes pentes, et la présence de cours d’eau immédiatement en contre-bas, sont autant de facteurs aggravants ». La seconde expertise, rendue par l’expert forestier Jacques Hazera, insiste notamment sur les impacts du vent suite à aux grandes coupes rases comme celle de Meymac : « sur une grande coupe rase de dix ou vingt hectares, voire parfois encore plus (ici, plus de 50 ha), le vent ne rencontre aucun obstacle… mais ce vent qui emporte la terre – laquelle finira inévitablement dans une mer ou dans un océan – est également un grave péril pour les boisements voisins de la coupe rase ».  

Toutes les coupes rases ont un impact fort sur l’environnement, mais celle de Meymac est exceptionnelle par sa taille et sa pente. C’est pourquoi Philippe Brugère, le Président du Parc Naturel Régional de Millevaches et Maire de Meymac, considère dans une interview que cette coupe est « l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire ».

Coupe rase, Meymac

Ce que le responsable de cette coupe rase essaye de cacher  

En mars 2023, Christian Ribes, alors Président de FIBOIS Nouvelle-Aquitaine (l’interprofession régionale de la filière forêt-bois), tenait un discours lors d’une manifestation de soutien à la coupe rase contestée d’une autre forêt située en Corrèze, le « Bois du Chat ». Tandis qu’il rappelait son « amour de la forêt », il a été interpellé par un spectateur : « Monsieur Ribes, vous avez coupé 100 hectares sur la commune de Meymac ! Cette coupe a été dénoncée par plein de gens. Au lycée forestier de Meymac, les enseignants disent que cette coupe est une honte. Le CRPF considère que c’est une coupe déplorable. Vous-même, vous représentez la filière bois ? ».  

Suite à cette interpellation, Canopée s’est rendu sur la coupe rase de Meymac pour mettre Monsieur Ribes face à ses responsabilités. Le devoir d’exemplarité qui accompagne la fonction de Président de FIBOIS Nouvelle Aquitaine est en contradiction avec la gravité de la coupe rase de Meymac : c’est ce que nous dénonçons dans une vidéo intitulée : « Coupes rases : le Président-gredin ». 

En réponse à cette vidéo, Monsieur Ribes a déposé deux plaintes contre Canopée. Il nous accuse d’avoir enfreint son droit à l’image et de l’avoir insulté (en le qualifiant de « Président-gredin »). Mais surtout, Monsieur Ribes refuse d’assumer sa responsabilité dans cette coupe. Il prétend, dans la plainte déposée, que « la responsabilité de la coupe ne peut lui être imputée » et qu’il ne serait qu’un « simple particulier ».

Il sera ainsi démontré que qualifier Monsieur RIBES de « Président-gredin », en référence à sa prétendue qualité de dirigeant d’ARGIL, dans le titre de la vidéo, apprécié à l’aune de son contenu, constitue une injure publique à son égard, en sa qualité de simple particulier.

Extrait du projet de plaidoirie de la partie civile

Pour prouver son innocence, Monsieur Ribes explique qu’il ne dirige plus la société qui a effectué la coupe rase, ARGIL, depuis 2018.  

Pourtant, il oublie de préciser deux choses essentielles :  

  1. La coupe rase de Meymac a commencé en 2017, lorsque Monsieur RIBES était bel et bien dirigeant d’ARGIL. C’est ce que prouvent ces images satellite :  
  1. La société ARGIL a réalisé les travaux demandés par le propriétaire de cette forêt privée. Or cette forêt appartient au Groupement Forestier Les Mille Sources, dont l’un des dirigeants est justement… Christian Ribes lui-même :

Un nouveau procès-bâillon pour faire taire Canopée 

En réalité, l’objet de la plainte n’est ni l’injure ni le droit à l’image, mais bien une stratégie pour faire taire Canopée et dissuader des associations de pointer les effets néfastes des coupes rases.  

En 2022, Canopée a déjà été attaqué par des représentants de la filière forêt-bois dans une affaire similaire : le Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest demandait à la justice de condamner Canopée pour l’utilisation de l’image de son Secrétaire Général, Eric Dumontet, dans une vidéo dénonçant les coupes rases de feuillus dans les Landes.. L’avocat qui attaquait Canopée en 2022 est le même que celui qui attaque Canopée en 2024 : Maître Nicolas Bénoit, du cabinet LUSSAN, qui semble se spécialiser dans la défense des lobbies de la filière forêt-bois face à Canopée.  

Canopée a remporté le procès en 2022, ce qui a permis de mettre en lumière la problématique des coupes rases de feuillus dans le Massif des Landes de Gascogne, et ouvert un intéressant débat public avec le Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest, à visionner ici.  

Le cabinet LUSSAN tente quant à lui d’abord de minimiser l’impact des coupes rases. Il considère que « Présenter ces coupes comme ayant une grave incidence sur l’environnement et la biodiversité ou comme n’étant justifiée que par des raisons économiques, est une dénaturation de ce que sont ces coupes »

Ensuite, il tente par tous les moyens de décrédibiliser Canopée, en dressant un sombre tableau de notre association. Dans sa plainte, il liste plusieurs actions qu’il attribue à Canopée et qui terniraient notre image. Problème : la majorité de ces accusations n’ont rien à voir avec Canopée :   

  1. Selon la plainte, Canopée serait responsable de menaces de mort. La plainte liste ainsi « les menaces de mort proférées de façon réitérée par un sympathisant de Canopée à l’encontre d’un salarié d’Alliance Forêts Bois ». Cette accusation mensongère s’appuie sur la grave stratégie des lobbies de la filière forêt-bois, dont le premier est l’Union de la Coopération Forestière Française (UCFF). L’UCFF a en effet prétendu, dans un communiqué publié en octobre 2023, que Canopée serait responsable d’une menace de mort envers un salarié de la coopérative Alliance Forêts Bois. Canopée a immédiatement opposé un démenti très ferme et très clair à cette grave accusation, et porté plainte pour diffamation. En réalité, cette accusation fait partie d’une stratégie des lobbies comme l’UCFF pour discréditer Canopée, à l’heure où nous menons une campagne visant à faire évoluer les pratiques des grandes coopératives forestières françaises.
  1. Monsieur Ribes indique qu’il aurait été « interpellé par un membre de l’association Canopée » lors de la conférence de presse qu’il a tenue à l’occasion de la manifestation en faveur de la coupe rase du Bois du Chat : là encore, il s’agit d’une fausse information. Une personne a bien interpellé Monsieur Ribes, mais elle n’est pas membre de Canopée.  
  1. Monsieur Ribes prétend que Canopée serait responsable « d’obstructions durables aux opérations d’abattage de bois », ce qui est tout bonnement inventé. Canopée a certes médiatisé le blocage de la coupe du Bois du Chat et appelé au dialogue, mais n’a pas obstrué le chantier ni appelé à le faire.  
  1. Enfin, Monsieur Ribes indique que Canopée aurait « volé un rouleau landais », alors même que Canopée n’a aucunement été condamné pour un tel vol.

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