Analyses

Travaux forestiers et espèces protégées : le gouvernement tente un passage en force

Avec l'examen de la loi d’orientation agricole, le gouvernement cherche à affaiblir la réglementation sur les espèces protégées en forêt.
Publié le Rédigé par Canopée


Profitant de l’examen de la loi d’orientation agricole, le gouvernement tente de détricoter la règlementation sur les espèces protégées. Analyse. 

Quel est le point commun entre le sonneur à ventre jaune, le pic noir et la Rosalie des Alpes ? Ce sont toutes des espèces qui vivent en forêt et qui sont protégées. Aujourd’hui, si vous détruisez l’habitat de l’une de ces espèces, vous pouvez être sanctionné de 3 ans de prison et 150 000 € d’amende en application de l’article L. 415-3. 

Pendant longtemps, cet article de loi a été relativement peu appliqué. Faute de moyens. Mais avec la création et le déploiement de l’Office Français de la Biodiversité, les procès-verbaux ont commencé à se multiplier. 

Une tentative de passage en force 

Face à la bronca de la filière, le ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des territoires a lancé un groupe de travail sur les travaux forestiers et les espèces protégées. En mai 2023, une feuille de route a été publiée. En substance, rien de bien nouveau : cette feuille de route recommande d’améliorer l’accès aux informations sur la présence d’espèces protégées avant un chantier et de mieux définir les modalités d’intervention pour réduire les impacts. Surtout, cette feuille de route se garde bien de préconiser un changement de réglementation pour une bonne raison : cela relève du droit européen. Nous y reviendrons. 

Un an plus tard, c’est un changement de stratégie. À travers l’article 13 de ce projet de loi, et surtout l’amendement qu’il vient de déposer, le gouvernement propose d’exonérer de sanctions pénales les auteurs d’infraction à l’article. L. 415-3 si cette infraction n’a pas été commise de façon intentionnelle. Cette absence d’intentionnalité se justifiant, toujours d’après le gouvernement, par l’existence d’un document de gestion forestière (prévu à l’article L.122-3). 

Une stratégie risquée et très fragile juridiquement 

Premier problème : restreindre la qualification de délit aux seuls cas dans lesquels les faits ont été commis de manière intentionnelle. Il s’agit d’une interprétation contestable de la directive Habitats, et surtout incompatible avec les lignes directrices de la Commission européenne sur l’application de la directive Oiseaux, ce qui a été confirmé par une abondante jurisprudence européenne. Car la France n’est pas le premier pays à tenter de détricoter sa réglementation sur les espèces protégées. L’Irlande a déjà tenté le coup en essayant d’introduire dans sa législation (Wildlife Act, art. 23), une exception de non-intentionnalité si une espèce protégée est blessée ou tuée en exerçant une activité dans le cadre de l’agriculture, la pêche, l’aquaculture, la sylviculture ou le tourbage. Avant de se faire retoquer par la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt du 11 janvier 2007, Commission c/ Irlande, C-183/03). S’il était adopté, l’amendement ouvrirait la voie à de nombreux contentieux, au terme desquels la condamnation de la France ne fait guère de doute. 

Deuxième problème, les documents de gestion en forêt n’ont aucun caractère informatif, et a fortiori prescriptif, en matière de protection des espèces protégées. Ils se limitent à une description de ces enjeux en termes généraux (plan simple de gestion), peu prescriptifs et, pour certains (règlement type de gestion ou code des bonnes pratiques sylvicoles), à l’échelle de la région naturelle et non à l’échelle de la propriété. 

Ils ne renseignent donc en rien sur la présence potentielle d’espèces protégées sur une parcelle forestière, ni sur les mesures à adopter pour les protéger (période de nidification, préconisations techniques pour réduire l’impact et le dérangement). En dépit de l’existence de documents de gestion dans les propriétés concernées, l’Office Français pour la Biodiversité a d’ailleurs constaté de multiples infractions en 2021 et 2022, essentiellement liées à l’absence d’évaluation d’incidences des coupes et travaux réalisés durant la période de nidification des oiseaux et à la destruction d’habitats d’espèces protégées en l’absence de mesures d’évitement et de réduction des impacts appropriées.  

Mettre en avant un document de gestion pour contourner le droit européen n’est, là aussi, pas une invention française. La Pologne a tenté le coup pour justifier le massacre d’une des dernières forêts primaires de plaine, la forêt de Białowieża, avant de se faire rattraper par la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt du 2 mars 2023, Commission c/ Pologne, C-432/21). Un État membre ne peut pas prévoir dans son droit interne que les activités de gestion forestière exécutées conformément à de « bonnes pratiques » ne violent pas les interdictions découlant de la transposition de la directive Habitats et notamment de son article 12, dès lors que ces bonnes pratiques ne correspondent pas aux conditions prévues à l’article 16 de la directive. 

Notre solution : intégrer un solide volet « biodiversité » dans les documents de gestion 

Si nous comprenons, et partageons, la nécessité de créer un cadre plus clair et plus sécurisant pour les entreprises de travaux forestiers, cela ne doit pas passer par un affaiblissement de la réglementation sur les espèces protégées mais par un meilleur accès à l’information et un renforcement des outils à la disposition des gestionnaires et propriétaires forestiers pour éviter et réduire les impacts des opérations sylvicoles sur les espèces protégées et leurs habitats. 

Mais c’est précisément sur ce point que ça coince.  

En 2020, les acteurs de la filière forêt-bois s’étaient engagés, avec l’appui du gouvernement, à « intégrer les critères de préservation de services écosystémiques (dont eau et biodiversité) dans les documents encadrant la gestion forestière dans les forêts publiques et privées » au plus tard d’ici 2021 (action 3.1 de la feuille de route sur l’adaptation des forêts au changement climatique ). 

Cet engagement n’a pas été tenu, ni lors de la révision des Schémas Régionaux de Gestion Sylvicoles qui font l’objet d’un recours au Conseil d’État pour ce motif, ni lors de l’élaboration de la Stratégie Nationale Biodiversité. L’action 4 de la mesure 22 de la Stratégie Nationale Biodiversité se limitant à « expérimenter dans la perspective de sa généralisation, l’ajout d’une annexe cartographique aux plans simples de gestion, identifiant les éléments d’intérêt écologique à préserver »

Rendre obligatoire une telle annexe, accompagnée de recommandations techniques à destination des opérateurs, permettrait à la fois de mieux protéger les espèces protégées et à la fois de sécuriser le travail des entreprises en forêt. 

Le point sur l'examen de la Loi d’Orientation Agricole

Une grave régression du droit de l’environnement

Vendredi 24 mai, grâce aux 3000 militants de Canopée qui ont interpellé leur député, le débat sur la Loi d’Orientation Agricole a pu avoir lieu à l’Assemblée nationale. Plusieurs députés ont tenté de s’opposer au ministre de l’Agriculture, et ont même repris nos arguments.

Malgré le débat, la proposition du gouvernement a été adoptée à l’Assemblée nationale : 39 députés ont voté pour… et 35 contre.

Désormais, le Sénat doit aussi approuver la proposition : nous avons davantage de temps pour nous préparer et allons contacter les Sénatrices et Sénateurs qui travaillent sur le sujet.

Selon notre analyse, la proposition du gouvernement est contraire au droit européen : un document de gestion, parfois très sommaire dans son contenu, n’est pas une excuse suffisante pour supprimer les sanctions en cas de destruction d’une espèce protégée.

Si le Sénat maintient cette régression du droit, nous contesterons le décret d’application devant le Conseil d’Etat et, si besoin, devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

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