Question

Est-ce que les forestiers peuvent agir pour éviter l’effondrement du puits de carbone ?

Question

Est-ce que les forestiers peuvent agir pour éviter l’effondrement du puits de carbone ?

C’EST COMPLIQUÉ… En dix ans, le puits de carbone forestier a diminué d’un tiers, passant de 63 à 39 millions...

C’EST COMPLIQUÉ…

En dix ans, le puits de carbone forestier a diminué d’un tiers, passant de 63 à 39 millions de tonnes de CO₂ par an entre les périodes 2005-2013 et 2014-2022[1]. Cette baisse s’explique par trois facteurs principaux : l’augmentation de la mortalité des arbres, le ralentissement de leur croissance, et la hausse des prélèvements.

Les dépérissements ne sont pas un phénomène nouveau, mais ils concernent aujourd’hui tous les types de peuplements, y compris ceux a priori bien adaptés à leur station (ex. : hêtraie dans le Jura). L’impact est toutefois bien plus marqué lorsque des choix sylvicoles ont fragilisé les écosystèmes. C’est le cas des peuplements d’épicéa plantés en plaine, souvent en monoculture, alors que cette essence est naturellement montagnarde : dans ce contexte, le dérèglement climatique agit surtout comme un révélateur.

La baisse de l’accroissement biologique est encore moins maîtrisable par la gestion forestière. Elle dépend avant tout de la disponibilité en eau durant la période de végétation, et des températures. Le forestier peut y répondre en diminuant la densité des peuplements pour réduire la concurrence hydrique. Mais une éclaircie trop forte peut à l’inverse fragiliser les peuplements, en augmentant la température dans le sous-bois et donc l’évaporation[2].

Certes, la hausse de la mortalité paraît plus spectaculaire en pourcentage (+50 %[3]) que la baisse de l’accroissement biologique (-4 %[4]). Pourtant, leur impact en volume est comparable : la mortalité supplémentaire pourrait justifier la récolte d’environ 8 Mm³ de bois dépérissant, tandis que le ralentissement de la croissance allonge les rotations et réduit les volumes exploitables dans des proportions similaires. Il convient également de rappeler que, malgré son aspect impressionnant, la mortalité annuelle ne concerne en moyenne que 0,5 % du volume total des arbres vivants. L’argument selon lequel il faudrait augmenter significativement les coupes pour « absorber » ces bois dépérissants ne tient donc pas.

Par ailleurs, laisser sur pied des arbres morts ou en sénescence représente une opportunité : ces bois créent des habitats essentiels à la biodiversité et favorisent des forêts plus résilientes[5].

Plutôt que d’adapter sa politique à la nouvelle donne climatique, le gouvernement persiste à vouloir augmenter les prélèvements, y compris dans la révision en cours de la Stratégie nationale bas-carbone. Celle-ci prévoit une hausse des volumes récoltés de 55 à 63 Mm³ entre 2021 et 2030[6]. Ce n’est pas nouveau : cela fait des décennies que cet objectif fait figure de totem. Jusqu’à présent, il n’a été que partiellement atteint. Si les prélèvements ont bien progressé (+5,9 Mm³, passant de 47,2 à 53,1 Mm³/an entre 2005-2013 et 2014-2022), cette hausse reste contenue.

Deux menaces sont toutefois en train de se structurer, avec l’appui de financements publics importants : la montée en puissance de la demande en bois-énergie et le plan de renouvellement forestier, dont les effets commencent à se faire sentir. Un rapport publié en mai 2024 par l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN/IFN) et l’Institut technologique FCBA[7] indique que ce plan pourrait entraîner une hausse des prélèvements de 9 à 13 Mm³/an, selon les scénarios. Faute de critères robustes, une part importante de ces volumes pourrait provenir de coupes rases abusives et évitables.

Sans inflexion de sa politique, la France ne pourra donc pas respecter son engagement d’absorber 34 MtCO₂ par an d’ici 2030[8].

 

[1] IGN. (2024). Memento. Inventaire forestier national, p.45.

[2] Blumroeder, J. (2021). Forestry contributed to warming of forest ecosystems in northern Germany during the extreme summers of 2018 and 2019. Zellweger F. et al (2020). Forest microclimate dynamics drive plant responses to warming. Science 368 : 772–775.

[3] IGN. (2024). Memento. Inventaire forestier national, p.34.

[4] D’après IGN (2024). En forêt publique, d’après l’ONF, la baisse de l’accroissement biologique se situerait plutôt entre -10 % et -15 %.

[5] Cours, J., Sire, L., Ladet, S. et al. Drought-induced forest dieback increases taxonomic, functional, and phylogenetic diversity of saproxylic beetles at both local and landscape scales. Landsc Ecol 37, 2025–2043 (2022). https://doi.org/10.1007/s10980-022-01453-5

[6] France Nation Verte. (2024). Projet de stratégie nationale bas-carbone n°3. Premières grandes orientations à l’horizon 2030 et enjeux à l’horizon 2050, p.109.

[7] IGN, FCBA. (2024). Projections des disponibilités en bois et des stocks et flux de carbone du secteur forestier français. p.24. ”L’effet du plan de renouvellement est visible sur la qualité de la ressource puisque les volumes récoltés lors de la mise en œuvre du plan (jusqu’à 2035) représentent 135 Mm3 et 90 Mm3 respectivement pour R1 et R2 mais sont pour 50 % du BIBE (Bois d’Industrie Bois Energie)”.

[8] Journal Officiel de l’Union Européenne. (2023). Règlement UTCAFT 2018/841, annexe 2 bis.