Question

Sans intervention humaine, la forêt ne pourra pas s’adapter au dérèglement climatique

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Sans intervention humaine, la forêt ne pourra pas s’adapter au dérèglement climatique

PLUTÔT FAUX La forêt n’a pas besoin des humains et ça n’est pas près de changer. Pour aider nos forêts...

PLUTÔT FAUX

La forêt n’a pas besoin des humains et ça n’est pas près de changer. Pour aider nos forêts à s’adapter au dérèglement climatique, l’action humaine peut améliorer ou aggraver la résistance et la résilience des forêts.

Si le dérèglement climatique était trop fort, certaines zones pourraient devenir des landes ou des garrigues. Le seul levier d’action dont nous disposons pour éviter d’en arriver là est de limiter au plus vite et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Nos forêts ne sont pas tant menacées de disparition que de profondes évolutions. Leur capacité à produire des bois calibrés pour répondre au besoin de l’industrie est fragilisée : si nous voulons continuer à utiliser du bois, nous devons faire évoluer notre industrie pour qu’elle soit capable de valoriser un plus grand nombre d’essences, notamment feuillus, et de qualité plus variable (bois avec des défauts, bois tordus…). La gestion intensive de plantation d’arbres nécessite des conditions stables et n’est pas durable sur le long terme sans intrant. Ce type de sylviculture n’est pas adaptée à la multiplication des aléas : sécheresse, grêle, incendie, tempête, parasites.

Plutôt que de chercher à adapter la forêt, il serait plus sage de chercher à adapter nos pratiques. En janvier 2025, l’IUCN publie une étude qui alerte sur le fait que la moitié des forêts de montagne de l’hexagone et de Corse est menacée par le dérèglement climatique. La filière saisit immédiatement cette alerte comme une preuve que les forêts risquent de disparaître si aucune action n’est entreprise. Cependant, si cette étude pointe bien les bouleversements qui frappent ces écosystèmes uniques, elle souligne aussi que la gestion forestière peut être un facteur aggravant, notamment les coupes rases, et recommande de favoriser la naturalité en privilégiant la restauration et la préservation de la biodiversité forestière et des processus propres à ces écosystèmes.

Le débat soulevé par cette étude est un bon résumé de la stratégie actuelle du gouvernement : au prétexte d’adapter les forêts au dérèglement climatique, des forêts entières sont rasées et replantées en anticipant ou en exagérant un dépérissement. Ainsi, dès que 20 % des arbres d’une forêt sont affaiblis, le peuplement entier peut être rasé et le propriétaire bénéficie des aides publiques du plan de renouvellement pour reboiser.

Plutôt que de raser des forêts affaiblies, il serait souhaitable de chercher à restaurer un bon fonctionnement de l’écosystème pour renforcer leur résistance et leur résilience à des aléas. Une gestion forestière privilégiant des interventions moins intensives, mais plus fréquentes est à encourager.

 


LE SAVIEZ-VOUS ?

Seule 1,8 % de la forêt française hexagonale est sous protection forte[1] (et encore, cela reste théorique).

La France, comme de nombreux pays européens, accuse un retard important sur l’objectif de protéger 10 % de son territoire en « protection forte », en particulier en ce qui concerne les forêts[2]. Or cet objectif est essentiel : de nombreuses espèces forestières sont sensibles à toute forme d’intervention humaine et dépendent de la présence de gros volumes de bois mort, quasiment absents des forêts exploitées.

Dans les forêts domaniales, l’Office national des forêts (ONF) affirme que la cible est atteinte. Mais cette affirmation repose sur l’agrégation de nombreux îlots de sénescence, souvent très réduits et dispersés, ce qui affaiblit leur efficacité écologique. Côté forêts privées et communales, aucun objectif quantitatif n’a été fixé, et il n’existe à ce jour aucun outil cartographique pour identifier les massifs prioritaires ou les continuités écologiques à renforcer.

Selon Réserves Naturelles de France, le décret de 2022, censé encadrer juridiquement la protection forte en forêt, reste trop flou pour garantir une application rigoureuse. En réalité, seules 30 à 40 % des surfaces[3] actuellement considérées comme étant en protection forte sont effectivement en libre évolution. Ce décalage entre les objectifs affichés et la réalité remet en cause la crédibilité du dispositif français, en contradiction avec la stratégie européenne pour la biodiversité à l’horizon 2030 et les engagements pris dans le cadre de Kunming-Montréal.

 

[1] https://naturefrance.fr/indicateurs/surfaces-forestieres-protegees-en-metropole

[2] Nagel, T.A., Rodríguez-Recio, M., Aakala, T. et al. Can triad forestry reconcile Europe’s biodiversity and forestry strategies? A critical evaluation of forest zoning. Ambio 54, 632–641 (2025). https://doi.org/10.1007/s13280-024-02116-2

[3] Commentaire personnel de Flavien Chantreau, lors d’une audition du groupe de travail « forêt » du Comité Nationale Biodiversité le 17 avril 2025.