Analyses

Emmanuel Macron en Indonésie : Que veut-il négocier ?

Publié le Rédigé par Canopée

Du 27 au 30 mai, Emmanuel Macron se rend en Indonésie avec l’ambition affichée de renforcer les liens économiques et stratégiques entre les deux pays. Au menu : métaux critiques, contrats d’armement et coopération industrielle.

Mais à quel prix ? Sur ces accords pèse le spectre d’une déforestation massive, de violation des droits humains et de menace sur les peuples autochtones.

Semunying, Borneo, Indonesia © Kemal Jufri / Greenpeace

Nickel indonésien : quel coût pour les forêts et les peuples autochtones ?

Le premier objectif affiché de la visite d’Emmanuel Macron est de sécuriser nos approvisionnements en minerais. En Indonésie, premier producteur mondial de nickel, la plus grande mine de nickel au monde est exploitée par une entreprise française (et détenue à 27 % par l’Etat) : Eramet.

Cette concession, située à Weda Bay sur l’île d’Halmahera, est couverte de forêts primaires (52 %) et protégées (44 %), et chevauche le territoire d’un peuple autochtone O’Hongana Manyawa, dont une partie vit en isolement volontaire.

En 2024, Canopée a lancé l’alerte1: plus de 2 000 hectares avaient déjà été défrichés, posant de sérieuses inquiétudes sur la survie de ces personnes en isolement.

Pourtant, Eramet et son partenaire Tsingshan ont ensuite déposé une demande d’autorisation de triplement de leur production auprès du gouvernement indonésien. Objectif : répondre à la demande croissante de nickel, notamment pour les batteries de véhicules électriques.

Un document confidentiel obtenu par Canopée révèle des impacts environnementaux et sociaux alarmants.

5 125 hectares supplémentaires pourraient être défrichés, menaçant 107 espèces à haute valeur de conservation, dont 40 sont protégées, 4 en danger d’extinction et 6 sont des espèces de mammifères jusqu’alors inconnues.

O’Hongana Manyawa

L’étude reconnaît aussi que près de la moitié de la concession chevauche le territoire des O’Hongana Manyawa et que l’exploitation pourrait perturber leurs déplacements, entraîner une perte de leurs terrains de chasse, de logements, polluer l’eau qu’ils utilisent pour l’agriculture, priver d’accès à des lieux spirituels et culturels et provoquer des conflits.

Pourtant, cette pression sur les populations locales et la biodiversité pourrait être très largement évitée. Une étude de Fern et Rainforest Foundation Norway2 prouve qu’en repensant l’utilisation des voitures individuelles, leur taille, les modèles de batteries, les zones d’approvisionnement, etc. il est possible de diviser par trois la déforestation associée à la demande de véhicules électriques dans l’UE entre 2025 et 2050. Par ailleurs, une étude de Mighty Earth montre qu’en l’Indonésie, seule une petite part des concessions de nickel contiennent des surfaces de forêts à Haut Stock de Carbone (une approche développée pour encourager le développement économique en dehors de ces zones). Il serait donc possible de préserver ces écosystèmes cruciaux, sans pour autant mettre un coup d’arrêt à l’industrie minière.

Les no-go zones, où l’exploitation minière est explicitement interdite, constituent un élément clé d’une transition réellement durable. Introduit pour la première fois en 2003 par le Conseil International des Minerais et Métaux pour les sites du patrimoine mondial de l’humanité, le concept prend de l’ampleur. Certaines entreprises, comme Tesla4, envisagent par exemple de créer des no-go zones là où vivent des peuples en isolement. Ces zones pourraient aussi s’appliquer à des sites particulièrement importants pour le stockage de carbone et la biodiversité, comme les forêts primaires.


Contrats militaires : coopération stratégique ou complicité silencieuse ?

Le second volet majeur de la visite d’Emmanuel Macron concerne la coopération militaire. En 2022, le gouvernement indonésien avait déjà commandé 42 avions de combat Rafale pour plus de 7 milliards d’euros. Mais si ces contrats sont présentés comme un succès économique, ils suscitent aussi des inquiétudes. En cause : les violations répétées des droits de l’homme perpétrées par l’armée indonésienne, en particulier dans le conflit en Papouasie occidentale. En cours depuis 1962, il a déjà fait au moins 100 000 morts. L’armée indonésienne y réprime violemment le mouvement indépendantiste, et est en particulier accusée d’exactions à l’égard de la population civile5.

Le nouveau président indonésien, Prabowo Subianto, élu en 2024, renforce les craintes. Ancien général, gendre du dictateur Suharto, il est accusé d’exactions au Timor oriental et en Papouasie.

S’il n’y a aucune preuve que les avions Rafale ont été utilisés dans ces répressions, le risque de détournement des technologies à des fins offensives reste bien réel6.

Mais les ventes de défense ne se limitent pas aux avions Rafale : les exactions commises par l’armée indonésienne en Papouasie n’ont pas empêché la France de vendre entre 2016 et 2019 des hélicoptères militaires Airbus au pays. Il a depuis été établi7 que ces appareils ont été utilisés dans la répression en cours dans la région. Les forces spéciales indonésiennes ont aussi utilisé, durant les mêmes années, des fusils FAMAS.

En l’absence de conditions à la vente de ces véhicules militaires, il y a d’importantes probabilités pour que ce scénario se reproduise.

Boyolali, Central Java, Indonesia, hélicoptères Airbus H225M de l'armée de l'air indonésienne

UN NOUVEL ELDORADO POUR L’HUILE DE PALME ?

Plus grand producteur d’huile de palme au monde, avec 45,7 millions de tonnes en 20248, l’Indonésie pourrait profiter de l’opportunité du voyage présidentiel pour développer ce marché en France.

En effet, en janvier dernier, l’Indonésie a autorisé la création de nouvelles concessions d’huile de palme, après 13 ans de moratoire9. Le gouvernement a notamment le projet de convertir 20 millions d’hectares, pour produire des cultures alimentaires et de biocarburants. Une politique assumée d’expansion. Mais face aux restrictions commerciales américaines (droits de douane de 32 % sur les importations d’huile de palme imposés par Donald Trump), l’Indoné­sie doit trouver de nouveaux débouchés pour écouler sa production.

La France pourrait-elle redevenir un territoire d’intérêt stratégique ?

Les importations françaises ont drastiquement baissé ces dernières années : en 2023 elles ont chuté à 12 000 tonnes, contre 192 000 de tonnes en 202010. Cette baisse fait suite à la suppression de l’avantage fiscal sur les biocarburants contenant de l’huile de palme (Taxe Incitative Relative à l’Incorporation des Biocarburants), obtenue grâce à la pression des ONG et de Canopée en particulier11.

Alors que la France a résisté aux pres­sions indonésiennes pour maintenir l’ex­clusion de l’huile de palme des avantages fiscaux aux biocarburants, Jakarta n’a pas hésité à faire pression en retour, menaçant notamment de remettre en cause des contrats d’armement, dont les ventes de Rafale.

Fruits des palmiers à huile © FoEI

Aujourd’hui, alors que de nouveaux accords de défense sont sur la table, la question se pose à nouveau : quelle contrepartie commerciale sera exigée cette fois-ci ?

La dynamique de diminution des importations en cours pourrait en effet s’inverser sous le coup d’une nouvelle loi sur les carburants verts portée par l’organisation maritime internationale (OMI). Selon une étude de Transport et Environnement, près d’un tiers du transport maritime pourrait alors être alimenté par des biocarburants dès 2030 et jusqu’à 76 % en 204012, dont 33 % à base d’huile de palme.

Ce nouveau débouché nécessiterait jusqu’à 9,7 millions d’hectares d’ici 2030. Ce nouveau marché pourrait donc venir contrecarrer les efforts réalisés pour en limiter nos importations.

Des entreprises comme CMA-CGM, un des plus importants transporteurs au monde, proposent déjà l’utilisation de biocarburants pour leur transport13. Si ceux-ci sont en théorie à base de déchets, ils ne pourront probablement couvrir qu’une petite partie de la demande14. Le rapport estime en effet que la demande en huile de cuisson usagée et en graisses animales utilisées pour ces biocarburants s’élèverait à entre 10,9 et 13,9 millions de tonnes par an d’ici 2035, l’équivalent de la consommation annuelle d’huile de cuisson de près de 3 millions de McDonald’s.

La limitation de ce gisement entraîne des fraudes à l’importation, qui consistent à maquiller de l’huile vierge en huile usagée. Celles-ci concerneraient jusqu’à un tiers des importations françaises15. Il est donc essentiel que l’Organisation Maritime Internationale exclut les biocarburants à base d’huile de palme du mix considéré comme durable.

Plusieurs compagnies16 en ont fait la demande, mais CMA-CGM reste jusque-là silencieux.

Sources
1 https://www.canopee.ong/le-media/enquetes/les-minerais-une-nouvelle-menace-sur-les-forets/
2 https://www.fern.org/fileadmin/uploads/fern/Documents/2025/2025_Driving-change-not-deforestation-Report.pdf
3 https://mightyearth.org/article/electric-vehicles-evs-are-vital-to-the-transition-away-f-efficient-than-cars-that-run-on-gasoline-even-better-th/
4 https://www.business-humanrights.org/en/latest-news/indonesia-tesla-explores-establishment-of-no-go-zone-for-mining-to-protect-indigenous-peoples/
5 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-26-septembre-2023-5809456
6 https://www.marianne.net/monde/asie/vente-de-rafale-a-lindonesie-leldorado-asiatique-de-la-vente-darmes
7 https://www.mediapart.fr/journal/international/190919/des-helicopteres-francais-facilitent-la-repression-indonesienne-en-papouasie
8 https://www.statista.com/statistics/706786/production-of-palm-oil-in-indonesia/
9 https://www.courrierinternational.com/article/deforestation-l-indonesie-relance-l-expansion-de-l-huile-de-palme-malgre-les-critiques-environnementales_226242
10 UN Comtrade
11 https://www.canopee.ong/campagnes/huile-de-palme-chronologie-dune-victoire-contre-total/
12 https://www.transportenvironment.org/articles/imo-fuelling-deforestation
13 https://www.cma-cgm.fr/maritime/services-cmacgm-plus/services-environnementaux/biofuel
14 https://www.canopee.ong/publications/biocarburants-avancee-vers-limpasse/
15 https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR16_18/SR_BIOFUELS_FR.pdf
16 https://www.transportenvironment.org/te-france/articles/plusieurs-compagnies-maritimes-appellent-a-limiter-lutilisation-de-biocarburants-dans-le-secteur