Question

Pourquoi le soja est une cause de destruction d’écosystèmes ?

L’augmentation de la consommation de viande a entraîné une hausse de la production globale de soja : elle a été multipliée par quatre en 40 ans. Elle représente aujourd'hui une réelle menace pour les forêts et les autres écosystèmes naturels.

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Question

Pourquoi le soja est une cause de destruction d’écosystèmes ?

L’augmentation de la consommation de viande a entraîné une hausse de la production globale de soja : elle a été multipliée par quatre en 40 ans. Elle représente aujourd'hui une réelle menace pour les forêts et les autres écosystèmes naturels.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas pour produire du tofu que le soja est massivement importé. Il sert avant tout à nourrir les animaux d’élevage que nous consommons. Cette consommation croissante demande de produire toujours plus de soja, au détriment de l’environnement et des forêts, détruites pour alimenter le marché mondial.

Bien que les graines de soja soient en partie utilisées pour l’alimentation humaine (sous forme de lait, protéines de soja etc.), la grande majorité de la production sert à l’alimentation des animaux. En effet, 87% du soja utilisé en Europe est à destination de l’élevage.

Une consommation de soja massive, mais invisible

Le soja est une plante à croissance rapide et à valeur nutritive élevée, et permet de produire une grande quantité de protéines. Il est donc très bien adapté aux besoins de l’élevage industriel. Près de la moitié du soja importé en Europe est à destination de la volaille, suivie par les porcs, puis les vaches.

Plus récemment, l’huile de soja a également commencé à être utilisée pour la production de biocarburants. Cela s’explique par une loi européenne qui incite l’incorporation de biocarburants aux carburants fossiles. Depuis 2022, le parlement français a cependant exclu l’huile de soja des biocarburants. Mais cela n’est pas encore le cas au niveau européen: si la politique de soutien aux biocarburants n’est pas revue, les importations de soja pourraient quadrupler en Europe d’ici 2030.

Une explosion de la production

L’augmentation de la consommation de produits animaux dans les pays en développement et développés a entrainé la multiplication par quatre en 40 ans de la production de soja. Aujourd’hui, le marché est largement dominé par trois principaux pays producteurs: les Etats-Unis, le Brésil et l’Argentine. Et cette croissance est exponentielle : en Amérique du Sud, la surface totale dédiée à la culture de soja est passée de 17 millions d’hectares en 1990 à 69 millions en 2017.

Le soja, une menace pour les écosystèmes d’Amérique latine

Cette augmentation de la demande de soja menace les écosystèmes d’Amérique latine. Des recherches récentes du World Ressources Institute montrent que 8,2 millions d’hectares de forêt ont été convertis pour la culture du soja entre 2001 et 2015, dont 7,9 millions en Amérique du Sud.

Cette culture est l’une des principales causes de la destruction de forêts, mais aussi des savanes et prairies dans plusieurs pays d’Amérique du Sud :

→ Le Cerrado est une immense savane arborée, située au Sud de l’Amazonie au Brésil et c’est aussi la zone la plus menacée par la culture de soja. L’aménagement du territoire et les progrès scientifiques des années 1980 (création et diffusion de variétés adaptées à la région, passage du travail du sol avec des engins à disque au semis direct, …) ont mené à une expansion massive du soja dans cette région.
Les protections environnementales y étant moins importantes qu’en Amazonie, le Cerrado est particulièrement menacé. Il s’étendait auparavant sur plus de 200 millions d’hectares, mais aujourd’hui la moitié de sa surface a déjà disparu. C’est la savane la plus riche en biodiversité au monde : on trouve dans le Cerrado environ 5% de la biodiversité mondiale, avec 4800 espèces endémiques.
Grâce aux racines profondes de ses arbres, la région renferme également une réserve de carbone importante. C’est aussi un territoire clé pour les ressources en eau du pays: au sein du Cerrado naissent 8 des 12 grands bassins versants du pays.

La déforestation
Le Cerrado © Rainforest Foundation Norway

→ La forêt atlantique (Mata Atlantica) : à l’origine une des plus grandes au monde, la surface de cette forêt située entre le Brésil, le Paraguay et l’Argentine, a été fortement réduite. La cartographie de ce biome montre qu’il en reste environ 25%. Cette forêt continue d’être menacée, notamment par la production de soja et l’exploitation forestière. Bien qu’extrêmement dégradée, c’est une des régions les plus riches en termes d’espèces animales et végétales. Elle abrite 7% de toutes les espèces animales et végétales.

→ Le Gran Chaco : la croissance de la culture de soja est une des principales causes de destruction de cette plaine que se partagent l’Argentine, le Paraguay et la Bolivie. Au Paraguay, elle menace particulièrement les droits et les traditions des Guaranis. Au total, on estime que 14% du Chaco argentin a été converti pour l’agriculture.

→ L’Amazonie : alors qu’elle est protégée par un moratoire sur le soja produit sur des terres déforestées, l’Amazonie continue d’être menacée. La forêt amazonienne abrite 10% des animaux de notre planète, et joue un rôle de puits de carbone essentiel. Entre 2004 et 2005, 30% du soja produit en Amazonie était lié à la déforestation.
En 2008, l’indignation du public suite à la déforestation dans la région a poussé les négociants à signer un Moratoire sur le Soja. Cela a permis de faire en sorte que la culture de soja ne soit plus responsable que d’1,4% de la déforestation en Amazonie. Mais récemment, les analyses de données satellites dans l’Etat du Mato Grosso ont montré une recrudescence des cas d’incendies déclenchés par des producteurs de soja.
De plus, de nombreuses études montrent que ce moratoire pourrait avoir augmenté la pression sur le Cerrado. En effet, face à cette protection des forêts plus stricte, les entreprises ont parfois déplacé leurs cultures dans cette zone moins règlementée. Le soja pourrait aussi s’être développé sur des pâturages (plutôt que sur des terres déforestées), déplaçant les nouveaux pâturages vers des zones déforestées.

→ Le Pantanal : cet écosystème composé de prairies et savanes inondées a connu des incendies records en 2020. Les feux ont consumé 4,5 millions d’hectares, représentant 30% du biome.

→ La forêt sèche du Chiquitano : le soja remplace en grande partie les forêts du Chiquitano, un biome de transition unique situé entre l’Amazonie et les forêts plus sèches du Chaco. Son état de conservation a donc des répercussions sur la dynamique écologique des régions avoisinantes. Cette région est considérée comme la plus étendue et la mieux préservée des forêts sèches. Recouvrant 25 millions d’hectares dont 16 millions en Bolivie, le Chiquitano est unique d’un point de vue écologique.

Principaux biomes du Brésil
Principaux biomes du Brésil

Une production aux lourdes conséquences sur l’environnement

La culture de soja ne détruit pas seulement les écosystèmes naturels et la biodiversité qu’ils abritent. À l’échelle de la planète, les forêts constituent le principal puits de carbone en milieu continental via la biomasse, le carbone du sol (sous forme de matière organique et de minéraux), le bois mort et la litière. La déforestation et la conversion liées au soja brésilien ont entraîné la libération de plus de 100 millions de tonnes de CO2 en 2020.

Elle entraîne aussi la perte de services écosystémiques comme la filtration et la fourniture d’eau. La quantité d’eau disponible dans un bassin versant est directement liée à la quantité de forêts. Près de 90% de l’eau de l’atmosphère provenant des continents vient de l’évapotranspiration. Une forêt dense en arbres évapore ou transpire de très importantes quantités d’humidité. Celle-ci monte de la canopée et finit par se refroidir et se condenser. L’eau, en passant de l’état gazeux à solide va alors occuper moins de volume. Cela crée une zone de basse pression, qui accélère les vents et crée des précipitations.

De plus, le soja est une culture conduite de manière intensive, en monoculture qui appauvrit les sols, nécessitant l’utilisation de produits phytosanitaires, et pour 74% à partir de semences génétiquement modifiées.

En plus de ses impacts sur l’environnement, la culture de soja a de graves conséquences sur les populations locales. Elle est souvent liée à des accaparements illégaux de terres, des violences, et des violations des droits humains. Au Brésil, en 2021, 109 personnes sont mortes à cause de conflits ruraux.

L’Europe, première consommatrice de déforestation

Le niveau de production européenne de soja est bien trop insuffisant pour couvrir nos besoins en protéines. Nous en importons donc massivement : l’Europe est aujourd’hui le deuxième importateur de soja au monde, derrière la Chine. En France, ce sont chaque année entre 3,5 et 4,2 millions de tonnes qui sont importés, principalement en provenance du Brésil.

Selon une étude de Pendrill et al., la consommation européenne de produits agricoles a entraîné la déforestation de 3,5 millions d’hectares entre 2005 et 2017. En proportion de son nombre d’habitants, l’Europe est ainsi le premier contributeur à la déforestation mondiale. Le soja représente 60% de nos importations à risque.

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Les négociants de soja au cœur du problème

Le commerce mondial de soja est concentré dans les mains de quelques négociants internationaux : Cargill, Bunge, ADM, Louis Dreyfus, Solteam, Amaggi et COFCO. Peu connus du grand public, ce sont pourtant des acteurs clés dans la chaîne d’approvisionnement du soja. Ces entreprises achètent les graines de soja aux producteurs, les stockent, les transforment en huile et tourteaux, puis les exportent.

À eux seuls, ils représentent plus d’1,7 millions de tonnes de soja par an importées du Brésil vers la France. Et ce sont aussi leurs chaînes d’approvisionnement qui concentrent le risque de déforestation. À travers l’installation d’infrastructures ou d’investissement dans des zones à risque, ce sont eux qui mettent en péril ces régions.

Comment y mettre un terme ?

Pour tenter d’enrayer cette déforestation, de nombreuses initiatives ont vu le jour. De nombreux États et entreprises, dont la France, se sont par exemple engagés en 2014 à travers la Déclaration de New York sur les Forêts. Beaucoup d’entreprises de l’agroalimentaire ou de matières premières, dont la plupart des négociants de soja, ont mis en place des politiques de non conversion des écosystèmes. Mais que ce soit des engagements des entreprises ou des États, tous ces engagements ont échoué. Par exemple, dans les 25 municipalités brésiliennes ciblées par les engagements des négociants de soja, la déforestation a continué d’augmenter, et certaines de ces entreprises ont même développé de nouvelles infrastructures dans ces zones. Il s’agit de la limite des démarches volontaires et non réglementaires.

En mai 2023, l’Union européenne a adopté une loi interdisant l’importation de produits responsables de déforestation. Le soja fait bien partie des matières premières concernées, mais le règlement ne concerne que les forêts. En ne protégeant pas les savanes, la loi risque d’augmenter la pression sur ces autres écosystèmes. De plus, pour mettre fin à la déforestation, il est impératif de réduire la consommation des matières premières qui en sont la cause. Imposer des critères environnementaux à certaines de nos importations sans en réduire le volume ne fera que déplacer le problème vers d’autres marchés.