Question

Les forêts mélangées et étagées sont-elles plus ou moins sensibles aux incendies ?

Les forêts peuvent être très différentes les unes des autres. Quels sont les avantages et les inconvénients des forêts mélangées et étagées face au risque incendie ?

incendies foret
Question

Les forêts mélangées et étagées sont-elles plus ou moins sensibles aux incendies ?

Les forêts peuvent être très différentes les unes des autres. Quels sont les avantages et les inconvénients des forêts mélangées et étagées face au risque incendie ?

Tour d’horizon des avantages et inconvénients des forêts mélangées et étagées, et cas pratique avec les incendies de La Teste de Buch et de Landiras.

 
Les forêts peuvent être très différentes les unes des autres, et deux critères permettent de les décrire. Premièrement, leur composition en essences : les forêts sont dites mélangées si elles comportent plusieurs espèces d’arbres différentes, contrairement aux forêts monospécifiques composées d’une seule essence. Et deuxièmement, les forêts sont dites étagées si elles comportent des arbres de tailles différentes : ce peut être des forêts avec un sous étage dense, ou des forêts irrégulières, ou à couvert continu.

 

Les forêts mélangées : une assurance pour l’avenir

Il est fréquemment observé, comme au cours des incendies de l’été 2022 en Gironde, que les feuillus au sein de peuplements mélangés brûlent moins bien que les résineux qu’ils côtoient. Leur présence semble ralentir la progression des feux et diminuer leur intensité. Les pompiers ont eux même fait cette observation et ont utilisé les lisières feuillues comme point d’appui, selon un article paru dans la revue Sud-Ouest Nature (Ducousso, 2023).

Pourtant, le seul effet du mélange d’essence sur les feux en forêt méditerranéenne et tempérée a fait l’objet de très peu d’études. En revanche, de nombreuses études ont montré l’effet bénéfique des mélanges sur les taux de survie face aux perturbations telles que les feux mais aussi les tempêtes, les sécheresses et les attaques de pathogènes. C’est le cas d’une méta-analyse récente publiée dans le numéro 76 des Rendez-vous Techniques de l’ONF (Bello et al., 2022) qui a synthétisé la littérature scientifique traitant des peuplements mélangés et leur effet face aux aléas biotiques (pathogènes…) et abiotiques (sécheresse, feux, tempêtes).. Sa conclusion est que «face aux perturbations, l’effet de sélection permet d’augmenter les probabilités de maintenir une survie supérieure en peuplement mélangé», l’effet de sélection étant le fait que la simple présence d’individus d’espèces différentes donne lieu à des réactions différentes à un stress environnemental ou biologique. Cette analyse montre un effet positif du mélange sur :

  • la productivité : cet effet est d’autant plus important que les sols sont moins fertiles, et est maximisé dans le cas de mélanges pied à pied,
  • la biodiversité dans la majorité des cas (exception faite de certaines communautés spécifiques nécessitant des peuplements purs),
  • la sensibilité aux attaques de pathogènes (à l’exception des pathogènes généralistes).
    L’auteur conclut sur le fait que la composition du mélange importe plus que le nombre d’essences le composant.

Dans un article paru dans la revue Sud-Ouest Nature (Ducousso, 2023), l’auteur explique que si le pin maritime est parfaitement adapté et possède de nombreux atouts dans le massif des Landes de Gascogne, seule, l’essence est fragile. Il dénombre pourtant une soixantaine d’espèces d’arbres et d’arbustes sur ce territoire, chaque station pouvant en héberger entre 11 (landes humides) et une quarantaine (dunes et ripisylves). Le chêne pédonculé peut notamment accompagner le pin maritime sur toutes les stations du massif. L’auteur propose ainsi d’une part de préserver et de restaurer de larges ripisylves feuillues (de 100 mètres de large au minimum) qui limitent la propagation du feu. D’autre part, les plantations de pin maritime présentant un risque incendie particulièrement élevé entre 10 et 20 ans, il fait la proposition de mélanger des essences feuillues (pionnières ou post-pionnières) afin de diminuer le risque durant cette période critique.

 

Multiplier les essences permet donc de mieux faire face aux risques d’incendies, mais aussi de sécheresse, de tempête et d’attaques de pathogènes.
C’est pourquoi nous demandons, dans les peuplements monospécifiques notamment résineux, l’introduction en mélange, soit en plein soit en lisière, de feuillus en accompagnement pour au moins 30% des tiges. Ces feuillus n’auront pas forcément un rôle de production, puisqu’il peut s’agir dans les forêts les plus à risque de chêne-liège, de chêne pubescent ou tauzin, mais alors de protection. Et les feuillus laissés lors de la coupe des résineux fournissent également par la suite un abri à la régénération.

Il est d’autant plus important de favoriser les mélanges que le sud-ouest du pays et le bassin méditerranéen, zones où le risque incendie est le plus fort, sont aussi celles où les peuplements mélangés sont les plus rares du pays selon l’IGN.

 

Proportion de forêts mélangées en surface par grande région écologique

 

Source : IGN, l’IF N°36, 2016

Note : l’Inventaire Forestier national considère en 2016 qu’un peuplement est mélangé quand il est composé de plusieurs essences dont aucune d’elles n’a un taux de couvert libre relatif supérieur à 75 %.

 

Résistance et résilience : les atouts des forêts étagées face aux incendies

Dans une étude publiée dans la revue Annals of Forest Science (Gonzalez et al., 2007), des chercheurs ont étudié des modèles visant à prédire la survie des arbres après incendie en Catalogne. Leurs travaux ont montré que les dégâts sont moindres sur les arbres de plus gros diamètre, mais qu’ils augmentent si les diamètres des arbres sont variés. Cela s’explique par une moindre inflammabilité des houppiers des arbres adultes situés plus en hauteur, et par le fait que l’écorce plus épaisse des arbres les plus âgés les protège mieux, comme nous l’avons vu pages 44 et 45 avec les travaux parus dans la revue Forêt Méditerranéenne (Pimont et al.,2014).

Et même si les arbres les plus jeunes sont plus sensibles au feu, mélanger des arbres d’âge différents évite de se retrouver avec des peuplements extrêmement inflammables du fait de leur densité et de leur hauteur de branches, pendant les 20 premières années suivant leur reconstitution. Les arbres plus vieux résistant mieux au passage d’un feu, pour le propriétaire, c’est aussi réduire le risque de tout perdre, en augmentant la capacité de résistance de son peuplement.

Dans ce même article (Pimont et al.,2014), les auteurs démontrent que, dans les pinèdes du pourtour méditerranéen, il est illusoire de chercher à garantir la survie de la strate arborée suite à un incendie par des mesures d’éclaircies et d’élagages, et qu’il est alors plus prioritaire de chercher à préserver leur capacité de régénération. Pour ces pins, la maturité sexuelle (c’est-à-dire la capacité de régénération par production de graines) des peuplements s’acquiert en 10 à 20 ans : si 5 à 7 ans peuvent suffir à certains individus pour produire des cônes, 10 à 20 ans sont nécessaires pour reconstituer une banque de graines susceptible de permettre la régénération d’un peuplement brûlé. Les cônes des pins d’Alep et maritime sont sérotineux : cela signifie que les cônes sont fermés par de la résine, qui fond sous l’effet de la chaleur. Les graines sont donc libérées après le passage du feu, et peuvent germer, d’autant que la concurrence herbacée est alors réduite.

De surcroît, le maintien d’une couverture arborée lors de la régénération procure de l’ombrage, diminuant la température, ainsi qu’un meilleur maintien de l’humidité, ainsi que l’a montré l’étude publiée dans la revue British Ecological Society (Blumröder et al., 2021). Ces conditions sont un bénéfice vis à vis des incendies mais aussi, notamment après un feu, favorables pour les jeunes plants.

Enfin, l’hétérogénéité structurelle des peuplement présente des avantages face à d’autres risques comme celui de tempête, un aléa qui lui aussi va devenir de plus en plus fréquent à l’avenir. Dans un article paru dans la revue Forestry (Gardiner et al., 2005) les auteurs indiquent que la présence d’arbres plus petits dans le sous-étage réduit la charge du vent sur les arbres de la strate arborée la plus haute.

Dans une autre étude publiée dans Nature Climate Change (Au et al., 2022), des chercheurs ont voulu vérifier si l’âge d’un arbre influence ses capacités de résistance et de résilience face à un épisode de sécheresse. Leurs travaux montrent que les jeunes arbres sont moins résistants que les vieux individus l’année de la sécheresse, du fait que leurs racines ne sont pas assez développées pour puiser l’eau en profondeur. Ils limitent alors leur croissance au maximum pour surmonter cet épisode et bénéficient du rafraîchissement issu de la transpiration des plus vieux arbres qui résistent mieux à la sécheresse. Trois ou quatre ans plus tard, les jeunes arbres ont ensuite rattrapé ce retard de croissance. Leur conclusion est qu’ ”une forêt qui respecte un certain équilibre générationnel entre les arbres sera donc plus à même de surmonter un violent stress hydrique qu’une forêt très homogène en termes de classes d’âge”.

 

Peut-on comparer les forêts mélangées et étagées aux monocultures face au risque incendie ?

Les forêts comportant plusieurs strates, que ce soient des forêts composées d’arbres d’âges différents (futaie irrégulière ou à couvert continu) ou des peuplements réguliers avec un sous étage, sont accusées de permettre le passage du feu de la strate herbacée à la canopée des arbres, ce qui n’est pas discuté. C’est pourquoi le principe de mise à distance des houppiers est adopté dans les zones les plus sensibles aux départs de feux et les plus fréquentées (zones soumises à OLD, pare feux).

Toutefois, ce passage du feu entre strates verticales peut aussi avoir lieu entre deux parcelles d’âge différent situées côte à côte. Mais surtout, la totalité du territoire forestier français (soit plus de 17 millions d’hectares), ni même “seulement” celui à plus haut risque (sud et sud-ouest), n’a pas vocation à devenir des pare-feu : les forêts sont des écosystèmes complexes, composées de plusieurs strates (herbacée, arbustive et arborée), pouvant comporter des arbres sénescents ou morts réservoirs de biodiversité. Diminuer les volumes de combustible sur l’ensemble des surfaces serait un non-sens écologique et économique. La loi n’impose le débroussaillement qu’aux abords des constructions et des routes situées à proximité des forêts dans certains départements où le risque est le plus élevé.

Les forêts monospécifiques sont plus sensibles à l’ensemble des risques qui pèsent aujourd’hui (incendies, sécheresse, tempêtes, attaques biotiques). La régularité de leur structure et leur absence de sous-étage, qui ne peut être obtenue qu’au prix de passages réguliers, coûteux en argent et en biodiversité, ne les protège pas totalement de tous ces risques et leur promotion doit ne plus appartenir qu’au passé.
Il est à présent prouvé que l’on peut diminuer les risques par le mélange des essences, avec notamment l’introduction d’espèces feuillues, et ne pas les augmenter, en ne plantant pas les espèces les plus inflammables telles que l’Eucalyptus.

Il n’est pas prouvé que les forêts à couvert continu soient plus sensibles au feu que les futaies régulières, mais nous avons vu qu’elles offrent de nombreux avantages face à l’ensemble des risques. C’est sans doute pourquoi la Belgique, la Suisse (qui interdit les coupes rases de plus de 0,5 ha), et l’Allemagne promeuvent ce type de sylviculture.

Pourquoi pas la France ?

 


 

Les incendies en forêt de La Teste de Buch et de Landiras : Points communs et différences

En juillet 2022, le massif des Landes de Gascogne a été le lieu des plus grands incendies de la saison, mais aussi le plus grand de la région depuis celui de 1949. Deux feux se sont déroulés en même temps dans le département de la Gironde : à Landiras et à la Teste de Buch. Très médiatisés au moment de leur survenue, ils ont pourtant été peu comparés. Zoom sur ces drames.

 

→ Des origines et des surfaces touchées bien différentes, et des dégâts surtout matériels 

La thèse de l’incendie volontaire est privilégiée pour l’incendie de Landiras. Ce premier feu dure 13 jours au cours desquels 12 500 ha sont brûlés. Par la suite, malgré les “grandes suspicions” du ministre de l’intérieur lors de la reprise du feu de Landiras 2 en août sur la commune de Saint-Magne, c’est bien la thèse d’un feu zombie qui se serait maintenu dans la tourbe et le lignite qui est privilégiée par la justice, brûlant 7 100 ha supplémentaires en 5 jours. Le feu est officiellement déclaré éteint le 28 septembre, mais à Hostens, selon le maire de la commune, il consumerait toujours une veine de lignite dans le sol à 1 mètre de profondeur début avril 2023.

Par contre, à la Teste de Buch, le feu est accidentel : c’est une panne électrique sur le moteur thermique d’un véhicule utilitaire circulant en forêt qui en est à l’origine. En 11 jours, 5 700 ha brûlent. Le feu est officiellement déclaré éteint le 25 août.

Si les dégâts en forêt sont immenses, aucune victime directe n’est à déplorer sur aucun des feux malgré leur ampleur. D’après les chiffres communiqués par le conseil général de Gironde, plus de 36 700 personnes ont été évacuées, parmi lesquelles des habitants et beaucoup de touristes. Cinq campings situés autour de la Dune du Pilat à la Teste de Buch ont brûlé quelques jours après leur évacuation.
3 000 pompiers girondins et 1 200 pompiers venus de toute la France et de Suisse ont été mobilisés sur ces feux.

 

Des départs dans les mêmes conditions climatiques, mais dans des forêts que tout oppose

Le 12 juillet 2022, des conditions extrêmes de chaleur, de temps sec (humidité atmosphérique très faible) et de vent sont réunies. A 55 km de distance, les deux feux démarrent à 1h d’intervalle.

L’un éclos sur la commune de Landiras vers 16 h, dont le paysage plat, parcouru de pistes et de pare-feux, est typique des plantations en monoculture de Pin maritime. Quasiment exclusivement privées, ces forêts ont un objectif principal de production. La zone avait déjà été durement touchée par la tempête de 2009 et est donc couverte d’une part importante de jeunes plantations de moins de 13 ans.
 

incendie landiras mai 2023
Landiras, mai 2023

L’autre feu débute vers 15 h à la Teste de Buch, dans une forêt située derrière la célèbre Dune du Pilat, dans un relief de dunes de ce fait moins bien desservi, et dans 3 types de propriétés : 3 000 ha brûlent en forêt usagère (sur les 3 900 ha que celle-ci comptaient initialement), 1 100 ha en forêt publique domaniale (sur ses 2 000 ha de surface totale) et le reste, soit environ 1 400 ha, en forêt privée. L’objectif de production y est moins marqué, laissant la priorité notamment en forêt usagère et domaniale à la protection des milieux et à l’accueil du public. Contrairement au reste du massif planté au cours du 19ème siècle, la forêt usagère est présente depuis 2 000 ans, et c’est à partir des semences issues de ses pins qu’a été constitué le massif des Landes de Gascogne.

 

Derrière la dune du Pilat, après exploitation des bois brûlés, mars 2023
Derrière la dune du Pilat, après exploitation des bois brûlés, mars 2023
Forêt usagère, mars 2023
Forêt usagère, mars 2023

 


Qu’est-ce que la forêt usagère ?

La forêt usagère de la Teste de Buch est la dernière forêt française sous ce statut original. Depuis 6 siècles, les “Baillettes et Transactions” régissent les droits de deux types d’usagers :

  • les ayant-pins sont les propriétaires du sol : ils disposent du droit de gemmage, qui est la récolte de la résine des pins,
  • les usagers, ou non ayant-pins, sont les habitants du Captalat, le territoire qui comprend les communes de La Teste de Buch, Gujan-Mestras, Arcachon et une partie de celle de Lège-Cap-Ferret. Ces habitants jouissent des droits d’usage de la forêt, qui comprennent entre autres le droit de prélever du bois de chauffage, ainsi qu’un droit au bois d’œuvre pour usage personnel pour les habitants du Captalat depuis plus de 10 ans. Les propriétaires résidents sur place peuvent également être usagers.

Les propriétaires sont tenus de supporter les droits d’usage. Aucun bois issu de cette forêt ne peut être ni commercialisé, ni même sortir du territoire du Captalat.

La forêt usagère est administrée par quatre syndics, deux de propriétaires, et deux d’usagers désignés en conseil municipal, l’un par La Teste de Buch, l’autre par Gujan-Mestras. Toute demande de bois d’œuvre doit être faite auprès du conseil réunissant ces quatre syndics.

L’ADDUFU, l’Association de Défense des Droits d’Usage et de la Forêt Usagère, a été initiée en 1920, et vise, entre autres, à défendre ce statut unique et séculaire.

En effet, tel que le relate l’auteur dans son ouvrage édité par Les Etablissements maison d’édition (Aufan, 2022), l’arrêt du gemmage dans les années 1970 a rompu l’équilibre fragile entre propriétaires et usagers. Le statut de forêt usagère, considéré par certains comme archaïque, a donné lieu à de nombreuses situations conflictuelles, mais malgré les remises en cause et les attaques qu’il a pu subir, la justice a toujours donné raison à ses défenseurs.

Juste avant avant l’été 2022, un rapport émanant de l’inspection générale de l’environnement et du développement durable (Cinotti et Lavarde, 2022) résume la situation en ces termes : “L’analyse approfondie des baillettes et transactions montre que loin d’être un système archaïque, elles constituent un cadre qui a su évoluer au fil du temps et les dispositions qui y figurent sont en cohérences avec celles du code forestier avec lequel elles s’articulent sans difficulté.”


 

Des systèmes de gestion remis en cause, et des changements souhaitables

Ni la régularité des peuplements, ni le passage du rouleau landais avec pour effet la constitution d’un tapis de végétation morte hautement inflammable, ni le dense réseau de piste permettant l’accès aux parcelles, n’ont pu protéger ou permis d’épargner les plantations monospécifiques de pins maritime autour de Landiras. La réaction de la filière ne s’est pas faite attendre : brandissant la menace d’attaques de scolytes, mais cherchant surtout à minimiser les pertes, tous les arbres ont été rapidement coupés.

 

Landiras, novembre 2022
Landiras, novembre 2022 
Landiras, mai 2023
Landiras, mai 2023

 

Le système de défense contre les incendies n’est pas remis en cause : innovant, très organisé, il est très efficace face à la très grande majorité des feux. Mais il ne suffit pas dans des conditions exceptionnelles telles que celles de l’été 2022, qui, du fait du réchauffement climatique, risquent de devenir la norme dans le futur, dans des peuplement aussi sensibles au feu que les plantations monospécifiques de pin maritime.

Et après ? Replante-t-on de la même manière ? La SEPANSO, à travers un article paru dans la revue Sud-Ouest Nature (Ducousso, 2023), et par de nombreuses conférences données par son auteur dans le département, propose en premier lieu de protéger les zones bâties par la création d’une zone de faible inflammabilité sur un rayon de 200 mètres autour des habitations. Cette zone, s’inspirant des traditionnels airials, serait à terme constituée d’un peuplement exclusivement feuillu, excluant les pins au fur et à mesure que les feuillus s’installeront, ainsi que toutes les espèces ornementales exotiques. Ensuite, l’auteur conseille de protéger et restaurer les ripisylves feuillues sur une largeur minimale de 100 mètres. Enfin, il s’agit de diminuer les risques dans les plantations de pin maritime, de plusieurs façons :

  • en augmentant les révolutions du pin, passant l’âge de la coupe définitive à 60 ans, ce qui limitera la fréquence de l’âge le plus sensible (de 10 à 20 ans)
  • en panachant sur le territoire des petites parcelles avec des risques variables
  • en mélangeant les essences, par l’ajout de feuillus
  • en recréant de larges pares-feux entretenus, ainsi que des lisières et des zones de feuillus

 

À la Teste de Buch, la lutte a été compliquée par le terrain accidenté et sableux qui rend difficile le déplacement des pompiers, et ce sur toutes les propriétés.

Un PPRFF (Plan de Prévention des Risques Feux de Forêts), annoncé depuis 2006, pourrait être opportunément rédigé étant donné les enjeux sur la commune, couverte de forêts sur 51% de son territoire et dont la population augmente fortement durant la saison estivale.

Le document d’aménagement de la forêt domaniale, en cours de rédaction mais révisé du fait des incendies, n’est pas encore publié en avril 2023. Le précédent aménagement 2004-2021 comporte une page faisant état du risque incendie et mentionnant : “Cette forêt étant très fréquentée en période estivale, les risques de départ de feux sont donc multipliés. La lutte préventive doit donc être optimale :

  • Entretien des infrastructures existantes : pistes, chemins, pare feux, puits forés et citernes d’eau
  • Maintien d’un sous étage dense à base de chêne ou d’arbousier limite le développement de plantes herbacées ou ligneuses plus inflammables (brande, ajonc, graminées)
  • Dispersion géographique des régénérations permet d’avoir une mosaïque de peuplements, donc une rupture dans la structure des peuplements, élément important limitant la vitesse de propagation des incendies.” La forêt publique prônait ainsi le maintien d’une végétation dense en sous-étage ainsi qu’une certaine irrégularité dans la structure de ses peuplements.

Suite au feu, dans son dossier de presse du 27 septembre 2022, l’ONF indique que la forêt domaniale sera d’abord sécurisée, avec l’enlèvement de 80 000 m3 de bois en 6 mois, puis reconstituée au cours des 2 à 4 ans suivant l’incendie, en utilisant partout où cela est possible la régénération naturelle et en s’appuyant sur le concept de forêt mosaïque.

En forêt usagère, les pins bouteilles, vestiges typiques des récoltes de résine en forêt usagère, ont pu rendre la lutte plus difficile. Ces arbres, très vieux, morts pour certains, étaient autrefois entaillés pour en extraire la résine. Des pompiers ont relaté qu’ils pouvaient prendre feu à l’intérieur du tronc et s’effondrer de façon inattendue.
Suite au feu, les inquiétudes sont grandes. Un collectif “Ensemble pour la forêt”, regroupant usagers et propriétaires, fait état du non respect de la transaction de 1917 : celle-ci fixe la répartition des revenus des ventes de bois dans le cas précis d’un incendie à 3/6ème pour les propriétaires, 2/6ème pour les communes de la Teste et de Gujan, et 1/6ème pour la caisse syndicale. Le collectif dénonce également l’abattage d’arbres vifs et des interventions jugées trop lourdes pour l’écosystème. Un autre collectif de scientifiques issus des grands laboratoires de recherche français (INRAE, CNRS, autres universités) s’est également constitué en septembre 2022. Il lance un appel “pour un moratoire en Forêt usagère de la Teste de Buch”, demandant à “prendre le temps de la réflexion et de la concertation” afin de “prévenir un emballement dans la tentative de reconstitution artificielle” et d’”éviter les coupes et débardages mécaniques injustifiés”. Une note non-publique adressée à la préfète de Nouvelle Aquitaine, intitulée “Note de méthode sur les principes et les étapes pour la reconstitution de la forêt incendiée de la Teste de Buch”, datée du 6 octobre 2022, cristallise les inquiétudes car elle étudie les possibilités d’action en forêt usagère, et notamment “la possibilité légale de supprimer le régime des baillettes et transactions”. Par ailleurs, le maire de la Teste, commune elle-même propriétaire d’une partie de la forêt usagère, a affirmé à la presse que “le droit d’usage n’est pas remis en cause”. C’est également ce qu’affirme M. Cinotti, l’un des auteurs de l’étude sur la forêt usagère (Cinotti et Lavarde, 2022). Mais le maire, M. Patrick Davet, hâte aussi les travaux visant à la remise en état du site avant la prochaine saison touristique : mi-avril 2023, 4 des 5 campings sinistrés ont pu réouvrir.

Les enjeux sont pourtant grands, et dépassent largement la saison touristique prochaine : il ne s’agit pas de remettre en cause le statut ni le fonctionnement de la forêt usagère, mais de trouver un consensus permettant la réalisation des OLD aux abords des routes (notamment la piste 214) ainsi qu’aux abords des constructions (cabanes, scieries, hangars) d’une part, et d’autre part la régénération naturelle de ces peuplements si riches, et ce dans le respect de l’écosystème et de l’attachement sincère et désintéressé que les habitants lui porte.

 

La piste 214…

La piste 214 traverse la forêt usagère d’est en ouest, reliant la route de Cazaux à la route départementale 218 qui suit le littoral. Cette piste aujourd’hui goudronnée aurait été la 1ère piste de DFCI créée après le grand feu de 1949. Le transfert de propriété serait toujours en cours vers la commune de la Teste. Son entretien est toutefois confié à la mairie.

C’est sur cette route ouverte à la circulation que le véhicule a pris feu le 12 juillet 2022. Suite à une bataille judiciaire qui a duré plusieurs années, les travaux de débroussaillement de ses abords auraient commencé la veille de l’incendie…

 

En forêt privée, certains propriétaires ont aussi la volonté de préserver l’existant : beaucoup de feuillus (chênes pédonculés notamment) ont été épargnés par les flammes et pourraient prendre une place qu’on leur a peu laissé jusqu’à présent. Des pins maritimes adultes, protégés par leur écorce, peuvent repartir, ou au moins se régénérer pour les plus touchés, si on leur en laisse le temps. La menace du scolyte planant sur les survivants, le gestionnaire rencontré passait tous les 15 jours pour marquer ceux à enlever rapidement.

 

Des questionnements en suspens

La concomitance des feux est-elle à l’origine de leur ampleur ?

Cette question peut être posée dans la mesure où forcément, si plusieurs feux se déroulent en même temps, les moyens de lutte sont divisés. Mais dire que si Landiras a autant brûlé, c’est parce que les moyens étaient concentrés à la Teste est très discutable. Les moyens ont été répartis de telle sorte que le 13 juillet à midi 700 ha avaient brûlé à la Teste et 1 000 ha à Landiras, 600 pompiers étaient engagés et des renforts étaient attendus, 4 canadairs étaient déployés et complétés par 2 avions Dash, selon un communiqué de presse de la préfecture de Gironde. L’ampleur des feux est avant tout liée aux conditions exceptionnelles de température, de sécheresse de la végétation et de vent qui se sont maintenues.

Les feux de 2022 auront eu pour effet l’augmentation des moyens de lutte, avec notamment l’annonce attendue du déploiement de moyens aériens basés dans le sud-ouest.

Quels étaient les enjeux réels sur le feu de la Teste ?

Il est certain que le feu de la Teste a concentré l’attention en raison de ses enjeux touristiques et économiques importants : la Dune du Pilat est en effet l’un des sites les plus visités du département.

Mais un aspect a été très peu évoqué dans les médias : les puits de pétrole du champ de Cazaux. Comme le relate un article de la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest (Cluzeau, 1966), un gisement de pétrole a été découvert en 1959 au sud de la forêt usagère. Situé entre 2200 et 2600 mètres de profondeur, il va rapidement devenir le 2nd gisement pétrolier de France métropolitaine. Initialement accordée en 1964 à la société ESSO REP pour une durée de 50 ans par décret, la concession a été mutée par arrêté ministériel en 2008 en faveur de Vermilion Energy, société canadienne. En 2010, une prolongation a été accordée jusqu’en 2035. Une quarantaine de puits sont encore actifs, la majorité se situant en forêt usagère.

 

Carte Vermilion Energy
Carte Vermilion Energy

 

L’entreprise a déclaré au journal Libération avoir stoppé la production et procédé à titre préventif à la mise en sécurité des installations de stockage et de production dès le 12 juillet. Des exercices préventifs avaient été effectués sur site 15 jours avant les feux, et les installations avaient été selon les pompiers parfaitement débroussaillées.

Si les puits ne sont en rien responsables de l’incendie, il est curieux que le danger ait été désigné comme provenant d’une forêt peu exploitée, alors que celle-ci est aussi le lieu d’extraction d’un combustible fossile