Question

Peut-on parler de mégafeu en France ?

Quels termes sont utilisés pour qualifier les grands feux dans notre pays et comment peut-on les décrire ? Focus sur le cas des feux français.

incendies foret
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Peut-on parler de mégafeu en France ?

Quels termes sont utilisés pour qualifier les grands feux dans notre pays et comment peut-on les décrire ? Focus sur le cas des feux français.

Méga-feu : un terme récent, parfois galvaudé. En France, on qualifie plutôt ce phénomène de feu extrême, hors norme ou catastrophe.

En France, le terme de mégafeu a fait son apparition dans le débat public avec le livre de la philosophe Joëlle Zask intitulé “Quand la forêt brûle”…. Elle y définit les méga-feux comme des incendies impossibles à canaliser, inextinguibles, ravageant des surfaces de plusieurs dizaines de milliers d’hectares.

Ce terme récent, catastrophiste, a été abondamment utilisé au cours de l’été 2022 par les médias, mais en France beaucoup moins par les autres parties prenantes (sapeur-pompiers, gestionnaires forestiers, services techniques des collectivités, etc…). Si l’on considère qu’un mégafeu brûle plus de 10 000 hectares, seuls deux feux ayant eu lieu ces cinquante dernières années correspondent à cette définition : celui de Landiras 1 en juillet 2022 avec 12 500 hectares brûlés, et celui de Vidauban en 1990 de 11 580 hectares.

Quels autres termes sont utilisés pour qualifier les grands feux dans notre pays et comment peut-on les décrire ?

 

Comment qualifie-t-on les grands feux en France ?

En France, plutôt que de parler de mégafeu, trois autres termes sont préférentiellement utilisés :

Les feux extrêmes sont définis dans une étude portugaise publiée dans la revue Fire (Tedim et al., 2018) comme des phénomène pyro-convectif dépassant la capacité de contrôle quels que soient les moyens de lutte, extrêmement puissants (avec l’intensité de la tête de feu supposée ≥10 000 kW/m), très rapide (avec une vitesse de propagation >50 m/min [ soit 3 km/heure]), et un comportement et une propagation erratique et imprévisible (avec la possibilité de sautes de feu pouvant dépasser le kilomètre).

→ Les feux hors-normes : c’est un terme qui peut souligner le caractère inhabituel ou nouveau d’un incendie, comme leur localisation, leur durée, leur surface ou leur intensité.

Ainsi, un feu peut-être hors norme du fait de la surface brûlée selon le taux de boisement de la région. D’après les données de l’IGN, le taux de boisement de la France métropolitaine s’élève à 31 %, mais cette moyenne masque de fortes différences départementales. Ainsi, le Finistère, boisé sur seulement 15% de sa surface, a connu durant l’été 2022 plusieurs incendies sur les Monts d’Arrée, l’un de plus de 1700 ha en 6 jours pouvant être qualifié de feu hors-normes, de par sa surface et sa durée. De même, le Maine-et-Loire, également boisé sur seulement 15% de sa surface, a été touché en août 2022 par un feu sur plus de 1 200 ha en forêt de Baugé-en-Anjou.

Exceptionnelles dans ces départements peu boisés, ces surfaces incendiées le seraient ainsi beaucoup moins dans le sud de la France où le taux de boisement est supérieur à 60% en Corse, dans le Var, les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes.

Les incendies peuvent également être considérés comme des feux hors normes en raison de leur durée. Par exemple, les incendies en Gironde à La Teste de Buch et à Landiras ont été fixés respectivement au bout de 11 et 13 jours en juillet 2022, ce qui suffit à les qualifier d’hors-normes.

→ Les feux catastrophes : ce sont des feux définis ainsi du fait des dégâts exceptionnels, humains ou matériels, qu’ils occasionnent. Ainsi en 2021, l’incendie de Gonfaron qui a ravagé une surface de plus de 6 800 ha, et a causé la mort de 2 civils ainsi que la destruction de nombreux bâtiments, peut être qualifié ainsi.

Plusieurs de ces termes pourront s’appliquer à un même feu, selon le caractère que l’on souhaite souligner. Par exemple, avec 12 500 ha brûlés durant l’été 2022, le feu de Landiras peut être à la fois qualifié de mégafeu (plus de 10 000 ha), de feu extrême par certains aspects de son comportement et les phénomènes pyro-convectifs observés, de feu hors norme du fait de sa durée, et de feu catastrophe au vu des déplacements de population et des dégâts matériels occasionnés.

 

Quels sont les facteurs favorables aux grands feux français ?

Les grands incendies sont toujours associés à des conditions météorologiques extrêmes de :

→ sécheresse

→ températures élevées

→ vent

Les feux les plus puissants et incontrôlables sont ainsi observés dans des conditions de sécheresse et de vagues de chaleur accompagnées de conditions atmosphériques qui favorisent les phénomènes pyroconvectifs, rendant leur propagation imprévisible.

Ces conditions peuvent parfois être accompagnées d’orages secs.

Dans ces conditions météorologiques, la propagation des incendies est alors plus rapide et leur puissance plus intense qu’un feu habituel. Leur comportement peut également être imprévisible, ce qui les rend incontrôlables par les moyens de lutte traditionnels contre le feu. Il peuvent durer tant que ces conditions persistent, pendant plusieurs jours comme on l’a vu au cours de l’été 2022 (13 jours à Landiras).

Le fonctionnement d’un feu est le suivant : la tête de feu, qui est une zone de feu très puissant, file rapidement. Dans le cas des feux extrêmes, elle est quasi-inarrêtable, avec possiblement des phénomènes de “sautes de feu”, qui peuvent dépasser 1 km, et ainsi traverser de très larges pare-feu ou même des zones agricoles. Les flancs du feu sont les zones qui font gonfler la surface du feu, et sont, dans les pires conditions, les seules attaquables par les pompiers.

Les pistes de DFCI, lors de leur conception (situées à l’amont des massifs forestiers et positionnées selon les vents dominants), servent à jalonner les surfaces et à permettre d’attaquer les flancs de l’incendie. Mais dans le cas d’un feu extrême ou hors-norme de par son intensité, le feu va seulement buter sur des zones totalement incombustibles, telles que les zones littorales, ou perdurer jusqu’à la fin des conditions météorologiques extrêmes.

Comme l’explique une thèse soutenue à l’EPHE (Lahaye, 2018), la stratégie utilisée en France est celle dite d’attaque des feux naissants : l’expérience a en effet montré qu’un feu doit avoir parcouru moins de 1 ha pour être encore maîtrisable lorsque les premiers intervenants commencent à le combattre. En période de risque, tout feu est donc attaqué de manière massive et rapide (dans les 10 minutes suivant sa détection).

D’après l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), le relief a également un effet sur les incendies, la pente accentuant la propagation du feu. En effet, il est « établi qu’un feu montant une pente verra sa vitesse doubler par rapport à sa propagation sur un terrain plat pour une inclinaison de 20 %, tripler pour une inclinaison de 30 %, et quadrupler pour une inclinaison de 40 %. En revanche, la vitesse d’un feu descendant une pente sera peu modifiée par la valeur de cette pente et dans tous les cas sera beaucoup plus lente que dans le sens de la montée. »

Plus les conditions météorologiques sont extrêmes (sécheresse, températures élevées et vent), moins les caractéristiques d’un peuplement forestier (sa structure, son type de gestion, son âge et sa composition en espèces) auront d’effet sur la propagation du feu, selon les auteurs.

En effet, dans le cas d’un feu “classique”, une coupure de combustible à la faveur d’une zone débroussaillée par exemple, ou de la présence d’essences moins inflammables comme les feuillus, sont des conditions qui sont susceptibles de ralentir la propagation du feu et permettre sa lutte par les pompiers. Au contraire, dans des conditions météorologiques extrêmes, ces caractéristiques peuvent ne plus suffire à ralentir le feu ou à permettre son attaque.

Une étude statistique publiée dans la revue Plos One (Barros and Pereira, 2014) a étudié les données issues de 5 années de feux au Portugal. Elle a montré que les petits feux sont sélectifs vis à vis de la végétation, mais que plus la taille du feu augmente, plus la sélectivité diminue : les plus grands feux sont ainsi peu influencés par la structure, la composition, l’âge ou le type de gestion du milieu.

Quels sont les récents feux hors norme en France ?

Seuls deux feux ayant eu lieu ces cinquante dernières années ont brûlé plus de 10 000 hectares sur le territoire : Landiras 1 en juillet 2022 avec 12 500 hectares brûlés, et Vidauban en 1990 avec 11 580 hectares partis en fumée.

Cependant, d’autres feux en France ont présenté des caractères exceptionnels et pour lesquels le terme de feu hors-norme est bien adapté : Landiras 1 et la Teste de Buch pour la durée des feux et leur intensité en 2022, Gonfaron en 2021 pour l’ensemble de ses caractères, et Rognac pour la vitesse de propagation du feu en 2016 parmi les plus récents.

Pare-feu élargi au cours de l’été 2022, au nord de Biscarrosse

→ En 2022, les feux de Landiras 1 (12 500 ha) et celui de La Teste de Buch (5 700 ha) en Gironde ont eu la particularité d’éclore le même jour, à une heure d’intervalle et à 55 km de distance environ. Forte chaleur, sécheresse, vents tourbillonnants, les conditions climatiques sont réunies pour que ces feux échappent à tout contrôle, et ce d’autant plus que les moyens de lutte disponibles sont divisés sur deux zones. Les évacuations concernent rapidement aussi bien la zone littorale, très touristique, que toutes les communes environnantes. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi été évacuées par les secours, faisant qu’aucune victime civile n’est à déplorer. Ces deux feux n’ont pu être maîtrisés qu’au bout de 11 à 13 jours, sans que les travaux titanesques de pare-feu géant (300 mètres de large sur 5 kilomètres de long ) réalisés à la hâte entre l’océan Atlantique et le lac de Cazaux n’aient finalement joué le moindre rôle. En 48 heures, ce pare-feu gigantesque au sud de la commune la Teste de Buch a élargi celui déjà en place qui mesurait 40 mètres de largeur et a été ordonné afin de préserver Biscarrosse, 3ème ville la plus peuplée des Landes.

→ En 2021, le feu de Gonfaron brûle 6 832 hectares dans le Var, faisant 2 morts et 6 blessés (dont 4 sapeur-pompiers), nécessitant l’évacuation de 7 500 personnes, détruisant 1 camping, et impactant plus de 400 bâtiments dont 130 complètement détruits, ce qui en fait l’incendie le plus destructeur de France. Parti d’une aire d’autoroute suite au jet d’une cigarette (dont l’auteur a été identifié en janvier 2023), le feu s’est très rapidement développé à la faveur d’une végétation très sèche, d’abord dans la plaine des Maures puis à travers le massif des Maures. Les conditions météorologiques étaient extrêmes : température élevée, taux d’humidité très faible (12%) et vent soufflant jusqu’à 110 km/h. Le feu est resté actif et s’est étendu, en suivant le même chemin qu’il avait pris en 2003, durant 3 jours avant son contrôle. Ce sont donc à la fois sa taille, ses victimes, sa rapidité de propagation, sa durée, et les dégâts qu’il a occasionné qui font que cet incendie est hors-norme. (Voir aussi page 21 l’encadré sur le feu de Gonfaron de 2021)

→ En 2016, le feu de Rognac dans les Bouches-du-Rhône, est le plus gros feu de la saison. Il s’étend sur 2 663 hectares, mais ce qui en fait un feu hors-norme est sa vitesse de propagation. La journée du 10 août 2016 est classée en risque incendie “exceptionnel”, le vent est fort (55km/h) avec des pointes à 85 km/h et le taux d’humidité faible (25%). Le feu éclos à 15 heures au pied du massif forestier de l’Arbois, et il est impossible de l’empêcher de monter sur le plateau. Il va alors parcourir 14.9km à une vitesse très rapide, comprise entre entre 3.2km/h et 5.3 km/h, avec des sautes de plus de 800 mètres. Sur les 6 communes parcourues, les pompiers n’ont pu que protéger le bâti : 1 932 constructions se trouvaient à moins de 50 mètres des flammes, aucune victime n’est à déplorer. Mais ce feu a bien mis en évidence la difficulté de protéger les zones urbaines à l’interface avec la forêt, ainsi que la nécessité de réaliser les obligations légales de débroussaillement même si celles-ci, dans de telles conditions, ne protègent pas complètement les constructions.