Qu’est-ce qu’un méga-feu ?
Qu’est-ce qu’un méga-feu ?
Popularisé avec les grands feux aux Etats-Unis, en Australie et en Sibérie, le terme de “méga-feu” a également fait irruption dans le débat public suite aux grands incendies de forêts en France. D’où vient ce terme et que recouvre-t-il exactement ? Décryptage.
Qu’est-ce qu’un méga-feu ?
Les méga-feux : une conséquence des changements climatiques
Les grands incendies ont toujours existé et font partie du fonctionnement des écosystèmes dans de nombreuses régions du monde. Leur fréquence varie au cours des millénaires en fonction du climat. Cependant, la fréquence et la taille des feux augmentent depuis le milieu du siècle dernier, du fait d’une part de l’allongement de la saison des feux et d’autre part de l’augmentation de la fréquence des sécheresses et des épisodes de températures élevées. Dans certaines régions du monde, volontairement allumé par l’Homme, le feu est également l’outil de la déforestation.
Depuis 1979 et à l’échelle mondiale, la saison des feux de végétation s’est globalement allongée sous l’effet du changement climatique : la surface concernée par une longue saison de feux a plus que doublé d’après une étude publiée dans Nature (Jolly et al., 2015).
En revanche, entre 1998 et 2015, la superficie mondiale brûlée aurait diminué de plus de 24% (avec une marge d’incertitude de 8.8%). La diminution a été la plus importante dans les savanes et les prairies d’Afrique et d’Amérique du Sud, en raison de l’expansion et l’intensification de l’agriculture, selon un article de Science (Andela et al., 2017).
Ces chiffres globaux cachent toutefois de grandes disparités régionales. Dans certaines régions du monde, comme en Amazonie ou en Afrique, les feux allumés par les hommes sont le moyen de déforester afin de modifier l’usage des sols, généralement à des fins agricoles (pâturages ou cultures). De plus, ils concernent les surfaces totales incendiées dans le monde, et pas uniquement les feux de forêt : il peut s’agir de surfaces agricoles, de savanes, de landes sèches, etc… Ces chiffres ne reflètent pas les changements intervenus ni sur la localisation des feux, ni sur l’intensité de ceux-ci. Ils ne prennent pas non plus en compte les incendies majeurs qui ont touché le monde depuis 2017.
Sur le bassin méditerranéen, la combinaison d’une sécheresse importante des sols et de températures élevées est à l’origine de la majorité des grands incendies. C’est ce qu’a montré une étude publiée en 2020 dans la revue Scientific Report (Ruffault et al., 2020), portant sur 17 000 feux de plus de 30 ha entre 1985 et 2015 en France, au Portugal, en Grèce et en Tunisie . La fréquence des grands incendies pourrait augmenter d’ici la fin du siècle, entre 14 et 30% selon l’ampleur des changements climatiques.
Pour décrire ces grands feux de plus en plus fréquents, le terme de mégafeux est apparu en 2013 aux Etats-Unis. Ce terme a ainsi qualifié des incendies toujours plus gigantesques, aux conséquences désastreuses, dans le monde entier depuis cette date (voir encadré ci-après).
Tour du monde des plus grands incendies récents
→ Aux États-Unis :
La surface moyenne incendiée sur 10 ans a triplé entre les années 1980 et 2020 aux Etats-Unis, passant de 900 000 ha/an en moyenne de 1983 à 1992, à près de 3 000 000 ha/an entre 2012 et 2021 (selon les chiffres du National Interagency Fire Center).
La Californie a subi les récents immenses incendies tels que le Rim Fire, qui en 2013 a brûlé plus de 100 000 ha à proximité du Yosemite National Park, le Camp Fire en août 2018, qui a fait 85 morts et détruit totalement la ville de Paradise en s’étendant sur 62 000 ha, l’August Complex Fire (le plus grand du pays), correspondant à 38 feux différents déclenchés par la foudre et aboutissant à 417 000 ha brûlés de mi-août jusqu’à mi-novembre 2020, ou le Dixie Fire en août 2021, le plus grand feu issu d’un unique allumage, avec près de 390 000 ha brûlés.
→ En Amazonie :
Les feux qui se déroulent en Amazonie, la plus grande forêt tropicale de la planète, sont causés par l’Homme. Une étude anglo-américaine publiée dans la revue Science (Andela et al., 2022) distingue les surfaces incendiées par satellite selon 4 grandes catégories :
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- La première est celle des feux de déforestation : le bois de plus grande valeur est d’abord prélevé, puis la surface est incendiée, parfois des mois plus tard, afin de supprimer la végétation restante et permettre l’installation soit de pâturages, soit de cultures.
- La seconde concerne les feux agricoles : ce sont des brûlis visant à améliorer les terres ou à entretenir les pâturages, généralement de petites tailles et de courte durée.
- La troisième catégorie, les feux de forêts, est la résultante des 2 premières, et peut être soit intentionnelle soit accidentelle. Ces feux causent de très fortes mortalités végétales et animales, la flore amazonienne étant inadaptée au feu, notamment les années de sécheresse.
- La quatrième catégorie est celle des savanes et des prairies, peu arborées, sur lesquelles se déroulent les plus grands feux en termes de taille.
Selon l’INPE, l’institut national de recherche spatiale brésilien, les surfaces brûlées annuellement au Brésil entre 2019 et 2022 s’élèvent en moyenne à 12 millions d’hectares. Ces surfaces incendiées gigantesques résultent de plusieurs centaines de milliers d’allumages. (Voir aussi page 10 l’encadré “Comment une forêt tropicale humide peut-elle brûler ?)
→ En Australie :
L’Australie est un pays dont les immenses espaces sont historiquement traversés par des feux de très grande ampleur : 19 feux de plus d’1 million d’hectares ont en effet été recensés depuis le milieu du 19ème siècle. Cependant les récents incendies de 2019-2020, qui ont sévi d’août à janvier, ont été particuliers à plusieurs titres :
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- La surface totale parcourue par les incendies est estimée à plusieurs dizaines de millions d’hectares (entre 20 et 40 millions d’hectares selon les sources, selon les Etats considérés et les méthodes d’analyse des données).
- Ces incendies ont fait suite à l’année la plus chaude et la plus sèche jamais enregistrée en Australie selon le service de météorologie du gouvernement australien. Ces conditions climatiques extrêmes sont devenues au moins 2 fois plus probable en 40 ans avec le changement climatique, comme l’a montré l’étude publiée dans Natural Hazards and Earth System Sciences (Van Oldenborgh et al., 2021).
- La localisation de ces feux, à l’est du pays, sur la côte très anthropisée entre Melbourne et Sydney, ainsi qu’en Tasmanie, est inhabituelle. Ils ont aussi touchés des milieux naturels différents : les forêts tropicales ont été moins touchées qu’habituellement, mais 18% de la surface des forêts d’Eucalyptus a été brûlée (contre 2% en moyenne au cours des années 2001 à 2018), selon un article publié dans Nature (Bowman et al., 2020).
→ Sur le bassin méditerranéen :
En 2017, le Portugal a connu une saison des feux prolongée et très intense, avec une surface totale brûlée d’environ 500 000 ha et plus de 120 décès selon la revue Scientific Reports (Turco et al., 2019), des dommages d’une ampleur inédite en Europe. Deux événements particulièrement tragiques ont notamment eu lieu du 17 au 20 juin à Pedrogao Grande, et du 15 au 17 octobre à Gois, soit respectivement avant et après la saison officielle des feux établie par les autorités portugaises. L’incendie de Pedrogao Grande de juin s’est déroulé dans un contexte de températures anormalement élevées et de faible humidité relative, associé à une atmosphère très instable à l’origine de rafales de vent qui ont accéléré la propagation de l’incendie. Le feu de Gois en octobre 2017 a été marqué par des vents forts et persistants venus du sud, conjugués à la sécheresse.
Entre 2000 et 2017, le Portugal a ainsi connu 11 années durant lesquelles plus de 100 000 ha/an ont brûlé. Rappelons que ce pays ne couvre qu’une superficie d’environ 92 000 km2, soit près de 6 fois moins que celle de la France métropolitaine.
Le 23 juillet 2018, en Grèce dans la région de l’Attique (située autour d’Athènes), un incendie s’est déclaré en forêt et s’est très rapidement propagé en limite de zone urbaine, d’après un article du Bulletin of the American Meteorological Society (Lagouvardos et al., 2019). En moins de 3 heures, 1250 ha ont brûlé, causant la mort de 102 civils et incendiant 3000 maisons. Ce feu extrême, caractérisé par une très grande vitesse de propagation, a résulté de rafales de vents exceptionnelles pour un mois d’été, de températures dépassant 38°C et de conditions très sèches (humidité relative inférieure à 20%).
Selon le rapport annuel publié par le système européen EFFIS (voir page 26 plus d’informations sur ce système), 2021 a été une année exceptionnelle en matière d’incendie dans plusieurs pays situés sur le pourtour méditerranéen. 140 000 ha du territoire de la Turquie sont partis en fumée cette année-là, alors que depuis 1990, elle n’avait connu que des surfaces annuelles brûlées comprises entre 3 000 et 30 000 ha (environ 10 000 ha en moyenne). Les feux d’Antalya ont notamment parcouru près de 60 000 ha au total. L’Algérie a également connu un été exceptionnel quand à la surface brûlée, sous l’effet d’intenses chaleurs en juillet- août, puisque ce fut la plus élevée en comparaison avec les 10 années précédentes. Plus de 100 000 ha au total ont été incendiés, alors que le pays ne compte pourtant que 4.1 millions d’hectares de forêt, soit un taux de boisement de seulement 11% de son territoire. Ces incendies dramatiques sont aussi ceux qui ont fait le plus grand nombre de victimes dans le pays (près d’une centaine).
En France, les conditions climatiques de l’été 2022, combinant sécheresse, températures élevées et vent, ont fait de cette année la plus touchée depuis 2003 : 70 000 ha ont brûlé au total en France, au cours d’une saison très longue, avec des risques très élevés d’incendies de juin à octobre. D’après les chiffres donnés à la fin de l’automne 2022 par l’Office National des Forêts (ONF), ces incendies se sont déroulés dans des départements habituellement beaucoup plus épargnés : au total, 52 départements ont connu un feu de plus de 10 hectares. En 2022, les 4 plus grands incendies se sont déroulés en Gironde. Ils ont eu lieu à Landiras en juillet sur 12 500 ha, ce qui en fait le second plus gros feu en France après celui de 1949, puis à Saint-Magne, aussi appelé “Landiras 2”, en août 2022 sur 7 100 ha. Le feu de la Teste de Buch, avec 5 700 ha brûlés, dont 1 100 ha en forêt domaniale, arrive en 3ème position. Le 4ème feu de l’année 2022 en surface a été celui de Saumos en septembre sur 3 200 ha environ. Voir aussi page 27 l’inventaire des principaux feux de forêt en France et page 54 l’encadré comparant les feux de la Teste et celui de Landiras.
→ En Afrique centrale :
Après l’Amazonie, la forêt d’Afrique centrale est la seconde forêt tropicale du monde en superficie : elle s’étend sur sur près de 200 millions d’hectares sur 6 pays, dont 60% en République Démocratique du Congo. D’après l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), les feux de végétation en Afrique sont responsables de 70 % de la surface brûlée annuellement dans le monde, et d’environ 50 % des émissions de CO2. Ces feux sont surtout présents dans les zones de savanes et de forêts claires qui brûlent facilement, du fait d’une végétation herbacée très fine qui peut sécher très rapidement et devenir inflammable. Ces feux sont d’origine humaine : les populations pratiquent la culture sur brûlis et l’élevage, brûlant la végétation dès la fin de la saison des pluies.
→ En Sibérie :
En Sibérie, de très grands incendies touchent la forêt boréale, la taïga, qui pousse sur des sols contenant une grande quantité de carbone sous forme de matière organique. Ces feux, aussi récemment dénommés “feux zombies”, se développent à la faveur de températures très élevées (atteignant jusqu’à 38°C) et de sécheresse durant la saison chaude, mais leur particularité est de survivre sous terre durant l’hiver, avant de reprendre en surface au retour des beaux jours. Une étude parue dans Science (Descals et al., 2022) donne des données chiffrées pour les saisons 2019 et 2020 : les observations satellites ont révélé que 4.7 millions d’hectares ont brûlé durant cette période, soit 44 % de la superficie totale brûlée en Sibérie pour l’ensemble de la période 1982-2020. L’été 2020 fut le plus chaud depuis 40 ans dans la zone. Les auteurs de l’étude prévoient que le réchauffement climatique à court terme entraînera une augmentation exponentielle des superficies brûlées dans la zone avant même le milieu de notre siècle. Ceci entraînera d’énormes émissions de dioxyde de carbone.
Entre science et sensationnalisme, quelle définition d’un mégafeu ?
Récemment, une méta-étude australienne publiée par Global Ecology and Biogeography (Linley et al., 2022) a analysé 563 études réalisées à travers le monde afin de proposer une définition du mégafeu : un incendie de plus de 10 000 ha issu d’un ou de plusieurs allumage liés.
Afin de clairement distinguer les échelles, les auteurs ajoutent les termes de giga-feu pour qualifier les incendies de plus de 100 000 ha, et de tera-feu pour les incendies de plus d’1 million d’hectares.
Ainsi, selon cette définition, les incendies américains August Complex Fire (2020) et Dixie Fire (2021) ainsi que ceux d’Australie en 2019-2020, peuvent être qualifiés de giga-feux. Les tera-feux sont plus rares et ne touchent pas tous les continents, mais l’incendie de forêt dans la région de Kimberley en Australie occidentale qui a brûlé plus d’1,2 million d’hectares en 2016, ou le feu de Yakoutie, en Sibérie, qui en deux mois a ravagé 1,5 million d’hectares en 2021, peuvent être ainsi qualifiés.
Par contre, les feux d’Amazonie ou dans le bassin du Congo ne devraient pas être qualifiés de mégafeux, car même s’ils aboutissent à de très importantes surfaces brûlées, ils résultent de plusieurs allumages dirigés et indépendants les uns des autres.
En France, ce terme ne devrait donc être que très rarement utilisé. En effet, seuls le feu de Landiras de juillet 2022 (12 500 ha) et celui de Vidauban en 1990 (11 580 ha) dépassent 10 000 ha depuis 1973.
Du fait des surfaces touchées, et de la puissance de ces feux, ils peuvent durer pendant des semaines entières, tant que des conditions favorables à leur développement persistent, de plusieurs jours, comme en France au cours de l’été 2022 (13 jours à Landiras), à plusieurs semaines aux Etats-Unis ou en Australie par exemple.
Outre la surface et la durée, d’autres caractéristiques des feux peuvent souligner leur caractère exceptionnel. C’est ce qu’indiquent les auteurs l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), expliquant que les mégafeux sont des feux de forêt au comportement extrême, du fait notamment de la formation de pyrocumulonimbus. Un pyrocumulonimbus est un nuage se formant au-dessus du feu en raison des mouvements d’air induits par la chaleur du feu. La formation de ces nuages en altitude génère de puissants courants d’air descendant qui modifient rapidement les conditions de vent près du sol. Ces mouvements d’air rapides rendent la propagation du feu imprévisible et favorisent l’allumage de foyers secondaires par le transport de petits éléments enflammés, les brandons.
Un mégafeu ou un feu hors norme est-il une catastrophe écologique ?
Pas toujours, et pas partout ! En d’autres termes, tout dépend de l’écosystème touché et de la fréquence à laquelle il est touché.
Certains milieux, comme le bush australien par exemple, sont régulièrement brûlés par le feu : les espèces végétales qui le composent y sont adaptées, et leur régénération est stimulée par un incendie (voir l’encadré ci-après/page 11).
Au contraire, en forêt tropicale humide, un feu détruit définitivement le biotope qui n’est pas adapté au passage d’un feu. La forêt ne se régénèrera pas toute seule, ou à très long terme, avec à moyen terme une perte de biodiversité importante. (Voir encadré suivant Comment une forêt tropicale humide peut-elle brûler?)
Comment une forêt tropicale humide, l’Amazonie, peut-elle brûler ?
La forêt amazonienne s’étend sur 9 pays d’Amérique du sud (Bolivie, Brésil, Colombie, Equateur, Guyana, Guyane française, Pérou, Surinam, Vénézuela), principalement au Brésil qui abrite les ⅔ de sa surface. L’Amazonie est l’habitat le plus riche en biodiversité au monde, contenant plus de 10% des espèces connues sur terre alors qu’elle ne couvre que 0.5 % de sa surface. A ce territoire s’applique parfois le terme de mégadiversité, en raison des 16 000 espèces d’arbres qu’elle abrite, dont 11 000 classées rares. En moyenne, on trouve plus de 200 espèces d’arbres différentes par hectare.
La forêt amazonienne est également un élément essentiel du système climatique de la Terre, contribuant à environ 16 % de la productivité photosynthétique terrestre et régulant fortement les cycles mondiaux du carbone et de l’eau. L’Amazonie est le plus grand bassin fluvial du monde, contenant 20% de l’eau douce de la planète.
Mais alors, pourquoi l’Amazonie brûle-t-elle ?
Depuis 2000, les incendies ont affecté une superficie équivalente à la surface de la Bolivie. Chaque année, la surface brûlée est comprise entre 17 et 27 millions d’hectares.
Sans surprise, les feux de forêts en Amazonie ont tous une cause humaine. D’une part, d’après le rapport de l’association Amazon Watch (Quintanilla et al., 2022), le feu est le principal moyen utilisé pour déforester afin d’augmenter la surface agricole : celle-ci a triplé depuis 1985, pour y installer des zones d’élevage, du soja ou des palmiers à huile. Efficace et peu coûteux, le feu est également par la suite utilisé pour l’entretien des pâturages. Et il peut alors fréquemment échapper à tout contrôle, et notamment en période de sécheresse, s’étendre à la forêt voisine.
D’autre part, une étude publiée par Forest Ecology and Management (Barni et al., 2021) montre que l’exploitation forestière sélective (qui récolte partiellement des bois en choisissant les plus rentables) rend la forêt entourant celle qui est exploitée vulnérable à l’entrée et à la propagation du feu. Elle s’appuie sur des données cartographiques comparant les forêts avant et après le phénomène climatique El Niño de 2015-2016. Ce phénomène a provoqué de gigantesques incendies dans une zone considérée comme protégée des feux en raison de l’humidité naturelle de la forêt. En modifiant le microclimat dans les trouées, l’exploitation sélective aggrave les incendies en augmentant les surfaces et l’intensité des feux. Il en résulte un doublement de la perte de biomasse, impactant des zones pourtant éloignées des principaux foyers de déforestation.
Une autre étude de la revue Royal Society (Silva et al., 2018) montre que les incendies en forêt tropicale humide réduisent la biomasse forestière pendant des décennies en augmentant les taux de mortalité des arbres, y compris pour les plus gros bois stockant la plus grande quantité de biomasse dans les forêts anciennes. Cette étude démontre également que les feux de forêt ralentissent ou bloquent la régénération des forêts amazoniennes.
La fréquence des incendies, et leur augmentation à la faveur du réchauffement climatique, pose problème : si l’intervalle de temps séparant deux incendies ne permet pas au milieu d’acquérir sa capacité de régénération, la forêt mettra beaucoup plus de temps à se reconstituer, avec un risque de perte importante de biodiversité.
En zone méditerranéenne, les forêts situées sur sols acides et comportant des chênes-lièges sont très bien adaptées au passage du feu. En effet, le liège épais aux propriétés isolantes protège les tissus conducteurs de l’arbre, qui pourra, dès l’année suivante, repartir soit en reconstituant son feuillage, soit de souche s’il était jeune ou fragilisé. Mais il faut au moins 15 ans pour qu’un peuplement de chêne-liège se remette du stress dû au passage du feu. Si un nouveau feu intervient avant cette période, le peuplement connaîtra alors un fort taux de mortalité.
De la même façon, un peuplement de Pin maritime adulte (arbres de plus de 15 ans) qui brûle verra sa régénération stimulée, car les cônes contenant les graines de pins sont pyrophytes et s’ouvrent donc suite au passage du feu. Mais si un nouveau feu se présente avant que le peuplement n’ait atteint sa maturité sexuelle (15 à 20 ans), il n’y aura pas de régénération naturelle possible rapidement. Il faudra alors attendre que des animaux transportent des graines venant de plus loin (s’il y en a), ou replanter.
Zoom sur les mégafeux australiens de 2019/2020
Une étude internationale publiée dans la revue Remote Sensing of Environment (Qin et al., 2022) a été beaucoup relayée en France en septembre 2022 : elle démontre que seulement un an après les mégafeux australiens de 2019/2020, la végétation a réabsorbé la totalité des émissions de carbone émises lors des incendies. A la fin de l’été brûlant qu’a connu la France, c’est avec enthousiasme qu’ont été accueillis ces résultats soulignant la forte résilience des forêts d’Eucalyptus en Australie, dans son aire naturelle. Le chercheur Jean-pierre WIGNERON de l’INRAE en Nouvelle Aquitaine, qui a participé à cette étude, l’a présentée dans de nombreux médias, en précisant toutefois que ces résultats n’étaient pas du tout extrapolables en France, et en alertant sur la perte de biodiversité qu’ont également causé ces feux.
Le communiqué de presse de l’INRAE concernant cette étude rappelle que 4 millions d’hectares de forêt, soit 20% de la forêt australienne, ont brûlé lors des incendies de 2019/2020. Ces feux ont eu lieu dans le sud-est de l’Australie, en zone tempérée, où les forêts ont des biomasses très élevées. La végétation y a entièrement brûlé, du sol à la cime des arbres. Par l’étude d’images satellites, les chercheurs ont évalué que la forêt a perdu l’équivalent de 200 millions de tonnes de carbone, soit 15 % de la biomasse aérienne, sous les effets simultanés de la sécheresse, des températures élevées et des feux. Sur ces 200 millions de tonnes de carbone, 90 millions seulement sont attribuables aux incendies et 110 millions aux effets cumulés de la sécheresse et des températures extrêmes.
L’année qui a suivi ces feux a connu un niveau de précipitations relativement élevé, notamment dans les régions forestières du Sud-Est de l’Australie. Les gains de biomasse dans ces zones forestières ont été importants, représentant au total plus de 260 millions de tonnes de carbone stockées sur l’année, dont 220 millions issues de la zone brûlée et 40 millions de la zone non brûlée.
Si ces résultats mettent ainsi en lumière l’excellente capacité de régénération naturelle de cette forêt, ils ne doivent pas faire oublier certains points prépondérants :
→ Les émissions de carbone dont il est question ne se limitent pas à celles des incendies mais tiennent également compte des zones qui n’ont pas brûlé. Le feu n’est pas la seule source de libération de carbone, les mortalités dues à la sécheresse et aux températures élevées sont également prises en compte dans l’étude.
→ Les résultats de l’étude ne sont valables que dans le contexte climatique et écologique de l’est de l’Australie, et ne doivent pas laisser penser qu’ailleurs dans le monde, les émissions de carbone liées aux incendies puissent être compensées en une seule année de repousse de la végétation.
→ L’Eucalyptus est une essence particulièrement inflammable : cet arbre est l’un des rares feuillus qui émet des composés organiques volatiles très inflammables (comme beaucoup de résineux). La continuité verticale de son feuillage favorise également la propagation du feu et son passage en cime.
→ Dans son aire naturelle, l’eucalyptus a la capacité de se régénérer très rapidement (avec des pousses de plus de 5m de hauteur en un an en conditions favorables) et ce même si le feu a une fréquence de passage très élevée (tous les 5 ans). Il se régénère de façon asexuée (sans diversité génétique donc) par rejets sur les troncs calcinés et par rejet de souche, grâce à son puissant système racinaire.
→ Les feux ont d’autres conséquences que la quantité de carbone libérée. Si le bush australien est fréquemment touché par de grands feux, les incendies de 2019/2020 ont touché des zones habituellement épargnées, à l’ouest du pays et en Tasmanie. Les conséquences des incendies sur ces forêts humides sont une perte importante de biodiversité, végétale et animale : 1 milliards de vertébrés (parmi lesquels les emblématiques koalas) ont été tués selon les estimations de l’Australian National University publiée dans son rapport environnemental annuel 2019, le double ou le triple selon d’autre sources.