Question

Quels sont les arbres les plus sensibles aux incendies ?

Certaines espèces d'arbres présentes dans les forêts françaises sont plus sensibles aux incendies que d'autres. Lesquelles ? Pourquoi ? Existe-t-il des traits communs aux arbres dits sensibles ?

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Quels sont les arbres les plus sensibles aux incendies ?

Certaines espèces d'arbres présentes dans les forêts françaises sont plus sensibles aux incendies que d'autres. Lesquelles ? Pourquoi ? Existe-t-il des traits communs aux arbres dits sensibles ?

S’intéresser à la sensibilité des arbres face aux incendies, c’est se pencher sur leurs types de caractère, mais aussi sur leurs stratégies pour résister au feu ou renaître de leurs cendres.

 

Une étude récente publiée dans Global Change Biology (Barrere et al., 2023) a analysé les sensibilités des différentes espèces d’arbres aux perturbations telles que les tempêtes et les incendies, en France et en Espagne, à partir des données d’inventaire nationaux.

Elle conclut que les espèces les plus sensibles au feu ont une faible épaisseur d’écorce et que celles provenant de climats plus chauds et plus secs, où les feux sont plus fréquents, sont plus résistantes au feu. Les conifères de production (pin sylvestre, pin maritime, pin d’Alep et pin noir) sont les plus sensibles aux perturbations, tandis que les chênes méditerranéens sont les moins sensibles, notamment les chênes-liège avec leur écorce subéreuse.

 

chênes-liège
Liège dit mâle, jamais récolté / Liège dit femelle, ayant déjà été récolté. Le liège de l’écorce des chênes-liège, s’il est suffisamment épais, protège les tissus conducteurs de l’arbre et peut ainsi permettre sa survie après le passage d’un feu.

 

Une autre étude publiée dans la revue Plos One (Barros and Pereira, 2014) a étudié les données issues de 5 années de feux au Portugal. Elle a montré que les landes, recouvertes de végétation arbustive, les forêts de pins (pin maritime majoritairement au Portugal) puis les plantations d’eucalyptus (et ce malgré une gestion et une protection intensives contre les incendies dans ces forêts à fort enjeu économique) sont préférentiellement brûlées, au contraire des forêts de feuillus (chênes à feuilles persistantes, tels que le chêne-liège ou le chêne à feuilles rondes Quercus rotundifolia) qui sont moins touchées.

 Mais pourquoi certains arbres sont plus sensibles que d’autres ?

→ Premièrement, certains arbres s’enflamment plus facilement que d’autres : ceci peut-être lié à leur teneur en eau, à la structure et à la morphologie de l’arbre, ou à leur composition chimique.

→ Deuxièmement, le feu peut endommager les troncs, les racines et le houppier des arbres. Et selon leur âge et leur épaisseur d’écorce, tous les arbres n’ont pas les mêmes capacités de résistance au passage du feu : les jeunes arbres auront peu de chance de survie, et la plupart des feuillus auront moins de chance que les résineux à l’écorce épaisse.

→ Enfin, les espèces ont adopté différentes stratégies face au feu : soit elles l’évitent, soit elles y résistent, soit elles le tolèrent. Mais les limites de ces stratégies sont la modification des régimes de feux sous l’effet du changement climatique.

 

Existe-t-il des arbres plus inflammables que d’autres ?

 
L’inflammabilité est la capacité d’un matériau à s’enflammer et à maintenir sa combustion. Elle a quatre composantes : l’allumabilité ou l’ignition (la capacité à s’enflammer), la durabilité (la capacité à entretenir la combustion et à produire de l’énergie), la combustibilité (la vitesse de transformation en flamme) et la consommabilité (la proportion de biomasse consommée pendant la combustion).

La revue Science of the Total Environment a publié une synthèse (Popovic et al., 2021) de 85 études qui répertorie les connaissances au niveau mondial sur les traits des arbres influant sur leur inflammabilité. Elle montre que trois principaux types de caractères individuels influencent l’inflammabilité :

  • les caractères écophysiologiques : il s’agit principalement de la teneur en eau, qui conditionne l’allumabilité,
  • les caractères structurels et morphologiques des éléments de l’arbre,
  • les caractères chimiques (composition et teneur en éléments, dont les terpènes) des feuilles, litière et écorce.

→ La teneur en eau :

Dans l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), les auteurs expliquent que le matériel le plus inflammable est sec et fin : ce sont les feuilles ou les aiguilles mortes, ainsi que les petites branches. Une feuille morte a en effet besoin de 7 fois moins de chaleur pour brûler qu’une feuille vivante. Elles peuvent être présentes sur les arbres ou être tombées au sol.

Le stress induit par les sécheresse augmente la quantité de matériel sec.

La teneur en eau du feuillage vivant varie de 40 à 350% selon l’espèce et les conditions climatiques. Le feu se propage mieux lorsque les teneurs en eau des feuillages sont inférieures à 80%.

La teneur en eau dépend de l’accès à la ressource en eau : les espèces au système racinaire le plus superficiel se déshydratent plus rapidement que les arbres aux racines profondes. La teneur en eau du feuillage dépend aussi de la capacité de la plante à déshydrater ses cellules.

→ Les caractères structurels et morphologiques :

Dans le même ouvrage (Curt et al., 2022), les auteurs expliquent que les éléments fins s’enflamment et se consument rapidement, alors que les éléments plus gros s’enflamment difficilement mais brûlent longtemps. C’est pourquoi les arbres adultes, avec un houppier porté à distance du sol et un tronc plus gros, sont moins inflammables que de la litière, des herbacées ou des fougères sèches. Pour cette même raison, les phases de régénération, avec un matériel sur pied fin et une branchaison basse, ainsi qu’une densité de tiges forte, et sont donc très sensibles au feu durant au moins une quinzaine d’années.

→ Les caractères chimiques :

 Une étude publiée dans Forest Ecology and Management (Ormeño et al., 2009) s’est intéressée aux terpènes, des composés organiques volatils très inflammables produits par les plantes, et notamment par certains conifères. Elle a montré que la litière de feuilles de pin d’Alep et de pin maritime, qui contient beaucoup plus de terpènes que celle de pin pignon notamment, est très inflammable, et l’est beaucoup plus que celle de pin pignon.

Dans sa thèse (Viros, 2020), l’auteure indique que le feuillage de certaines espèces possède des structures de stockage de terpènes (trichomes glandulaires chez les Lamiaceae, cavités sécrétrices chez les pins, glandes subdermales chez les eucalyptus) qui influent sur les émissions de la litière. Ces espèces possédant ces structures de stockage sont les seules à émettre des terpènes. Ces émissions sont favorisées par une température élevée.

Les eucalyptus présentent ainsi la particularité d’être les seuls feuillus à émettre des terpènes, et possèdent de plus un feuillage fourni du sol jusqu’à la canopée, ce qui favorise la propagation du feu et son passage en cime. Ces espèces ont également une écorce très fine qui se détache facilement, favorisant la propagation du feu jusqu’à de grandes distances. D’après un article publié dans la revue MDPI (Guerrero et al., 2022) le gommier bleu, qui est un eucalyptus faisant partie des essences objectifs utilisables en Occitanie, est une essence qualifiée d’extrêmement inflammable en raison de la forte concentration en huile essentielle de ses feuilles. De plus, selon cette même étude, cet eucalyptus ainsi que le pin radiata, essences exotiques, s’enflamment facilement et libèrent de grandes quantités d’énergie (pouvoir calorifique élevé) lors de leur combustion. Originaires d’Australie, les eucalyptus sont des espèces dites pyrophiles qui n’ont pas leur place en France.

 

Comment le feu endommage-t-il les arbres ?

 
Selon un article paru dans la revue Forêt Méditerranéenne (Pimont et al.,2014), lors du passage d’un feu et selon son intensité, trois éléments d’un arbre peuvent être endommagés et causer sa mort :

  • Le cambium : situé sous l’écorce et dans les racines de l’arbre, ce tissu produit le bois et les tissus conducteurs de la sève.
  • Le système racinaire
  • Le houppier, c’est à dire le feuillage de l’arbre

→ Les dégâts au cambium du tronc

Le cambium est protégé par l’écorce, qui l’isole du feu. Quelle que soit l’espèce, les propriétés thermo-physiques des écorces sont relativement similaires, exception faite du chêne-liège dont l’écorce est très poreuse et donc très isolante. Plus un arbre est gros, plus son épaisseur d’écorce est importante et donc meilleure sera la protection des ses tissus conducteurs. Par contre, les épaisseurs d’écorce varient selon les espèces. A diamètre égal, les feuillus ont une écorce beaucoup plus fine que les résineux. Le pin pignon est celui qui possède l’écorce la plus épaisse. Ceci explique que les feuillus (excepté le chêne-liège) ne survivent généralement pas suite au passage d’un feu, au contraire des résineux.

La taille de l’arbre et son espèce sont donc déterminantes quant à sa survie au feu. Par exemple, un pin d’Alep de 25cm de diamètre a une écorce épaisse de 2cm environ, et pourra survivre à un temps de séjour au feu de plus de 10 minutes. Par contre, un chêne-vert en taillis, dont les tiges de 10 cm de diamètre ne sont protégées que par 0.5 cm d’écorce, ne peut résister à une exposition au feu de plus 45 secondes.

Le vent cause en plus un phénomène d’attachement de la flamme à l’aval du tronc qui augmente les dégâts sur une face du tronc. C’est pourquoi les traces du feu sont plus marquées et plus hautes du côté opposé à l’arrivée de la flamme.

 

→ Les dégâts aux racines

Compte tenu des propriétés isolantes du sol, les racines sont bien moins exposées que les parties aériennes des arbres. Mais dans certains cas, lorsque l’intensité du feu est très forte, la combustion de l’arbre peut être totale et se poursuivre jusque dans les racines : il ne reste alors plus qu’un trou dans le sol à l’emplacement de l’arbre.

→ Les dégâts au houppier

Le feu peut ne se propager qu’au sol, mais lorsqu’il passe en cîme, les dégâts qu’il cause au houppier sont la principale cause de mortalité des arbres matures protégés par une écorce. Ces dégâts sont évalués selon le taux de roussissement foliaire.

Bien sûr, les dégâts se combinent. Pour 50% de houppier roussi, les individus ayant une écorce peu épaisse, comme les feuillus ou les jeunes résineux, ont une forte probabilité de mourir, tandis que les arbres ayant une écorce épaisse, comme les résineux, ont de meilleures chances de survie. Une écorce épaisse constitue ainsi une forme d’adaptation au feu.

La mortalité liée au feu intervient généralement dans les 2 années suivant le feu, avec une stabilisation au bout de 3 à 5 ans. Cette mortalité est augmentée en cas de sécheresse.

 

Quelles sont les stratégies adoptées par les arbres face au feu ?

 

Les arbres peuvent réagir différemment selon les espèces face au feu. Ces réactions jouent sur la survie ou la mortalité des individus, ainsi que sur les modes de régénération et de croissance après incendie.
Toujours selon l’article paru dans la revue Forêt Méditerranéenne (Pimont et al.,2014), un tableau de ces stratégies pour la forêt méditerranéenne a été dressé :

 

Stratégie adaptative des espèces ligneuses arborées méditerranéennes après incendie

Stratégie adaptative des espèces ligneuses arborées méditerranéennes après incendie

Source : Forêt Méditerranéenne (Pimont et al.,2014)

 

Dans l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), les auteurs décrivent deux stratégies principales :

→ les stratégies de résistance au feu : les espèces ont développé des adaptations leur permettant de survivre au passage d’un feu. C’est le cas du chêne-liège, dont les tissus conducteurs sont protégés par le liège. Il est capable de produire des rejets sur ses branches à peine quelques semaines après l’incendie. C’est également le cas du pin pignon, à l’écorce très épaisse, qui peut survivre même si 80% de son houppier a roussi. Par contre, ses cônes ne sont pas sérotineux et bien que protégées dans des cônes épais, ses graines ne donneront qu’entre 100 et 1000 tiges par ha. Le pin noir et le pin sylvestre ont une faible régénération après incendie (inférieure à 10 tiges/ha), mais ils survivent assez bien au passage d’un feu peu intense.

→ les stratégies de tolérance au feu : les espèces compensent leur forte mortalité lors d’un feu par leur capacité de régénération. Certaines espèces ont une tolérance au niveau individuel : elles se régénèrent par rejet de souche après un feu, ce sont les espèces dites endurantes, constituant la majeure partie des espèces de garrigue méditerranéenne (arbousiers, bruyères) et les chênes vert et kermès. D’autres espèces, les espèces pionnières pyrophytes, sont tolérantes au niveau des populations, en produisant des graines qui survivent à l’incendie (grâce aux cônes sérotineux), à l’origine d’un recrutement supérieur à 1 000 tiges/ha, comme le pin d’Alep, le pin brutia et le pin maritime. Cependant, il faut que le temps séparant deux passages de feu laisse les arbres atteindre leur maturité sexuelle, soit au moins 10 à 20 ans pour que la banque de graines soit reconstituée (Pimont et al.,2014).

 

« En l’absence de ces stratégies, certaines espèces peuvent rapidement coloniser un milieu incendié par dispersion des graines à partir des individus situés en pourtour du feu (ou dans des îlots non brûlés). Elles sont considérées comme tolérantes au niveau du paysage. Même si les individus et leurs graines sont détruits dans la zone incendiée, les stratégies de dissémination et de germination de ces espèces en milieu ouvert sont suffisamment efficaces pour la recoloniser rapidement. » (Curt et al., 2022)

Les limites de ces stratégies sont celles du régime des feux, que l’on définit comme étant la combinaison entre l’intensité du feu et l’intervalle de temps qui sépare deux incendies au même endroit. Le réchauffement climatique augmentant la fréquence des conditions favorables au développement des feux, les risques sont la régression des forêts au profit des landes, garrigues et maquis dans les zones les plus exposées, comme le soulignent les auteurs de l’article cité précédemment (Pimont et al.,2014).

En plus de l’augmentation de leur fréquence et de leur intensité, la grande taille des feux génère des zones plus lentes à se régénérer naturellement du fait de la longue distance à parcourir pour les graines présentes sur les individus matures en bordure d’incendie.

 

Pourquoi laisser vieillir les forêts offre des avantages face au feu ?

 

Nous venons de le voir, certaines espèces ont mis en place des stratégies leur permettant soit de résister au passage d’un feu (les espèces résistantes comme le pin pignon, le chêne-liège et dans une moindre mesure les pins d’Alep et maritime) soit de stimuler leur régénération après un incendie (espèces pionnières et endurantes comme les pins d’Alepe et maritime, et les chênes vert et kermès). Mais pour que ces stratégies puissent s’exprimer, il faut que les arbres soient suffisamment âgés pour avoir mis en place les structures les protégeant du feu (leur épaisseur d’écorce, leur élagage naturel), ou pour acquérir leur maturité sexuelle et donc en capacité de produire des graines permettant leur régénération en cas de feu.

Ainsi, plutôt que de seulement chercher à diminuer la biomasse combustible (bien que cela soit nécessaire dans certaines zones des forêts les plus à risque) , ce qui revient à diminuer la capacité de stockage de carbone de nos forêts, il faut augmenter les durées de révolutions partout où cela est possible sur le territoire.

 

C’est ce que propose Alexis Ducousso, dans un article publié dans la Revue Sud-Ouest Nature (Ducousso, 2023). Auparavant fixée à 40 ans, aujourd’hui la durée de révolution du pin maritime en Aquitaine tend à diminuer vers 25 ans. Or, 60 ans est l’âge à partir duquel on réduit fortement le pourcentage du territoire très sensible au risque incendie. Allonger la durée de révolution revient à diminuer la proportion d’années durant lesquelles les peuplements sont particulièrement sensibles aux incendies (entre 10 et 20 ans).

 

C’est aussi ce que propose Jonathan Lenoir, Chargé de recherche au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (Edysan, unité CNRS/ Université de Picardie Jules Verne) d’après une interview publiée sur le site du CNRS :

« Aujourd’hui la plupart des exploitants forestiers considèrent qu’un arbre peut être abattu lorsqu’il a atteint son âge d’exploitabilité, soit entre 150 et 180 ans pour un chêne, et de 45 à 70 ans pour un conifère comme le douglas. Mais sur une planète où les extrêmes climatiques tels que nous les connaissions deviennent peu à peu la nouvelle norme, il convient de revoir ce principe de gestion en conservant les arbres le plus longtemps possible. L’intérêt d’une telle démarche est double : non seulement les plus vieux individus garantissent la protection des plus jeunes arbres les années de sécheresse, mais ils vont permettre d’atténuer les effets du réchauffement climatique par le stockage de grandes quantités de CO2 sur le long terme. Si le fait d’abattre un arbre au bout de plusieurs centaines d’années augmente les chances qu’il périsse dans un incendie ou lors d’une tempête, cette prise de risque peut être minimisée en diversifiant l’écosystème. Face à un climat de plus en plus instable, une forêt diversifiée et hétérogène du point de vue des arbres qui la composent offre la meilleure garantie de résilience. »